Résistance sans violence 1/2: Rencontre avec la Palestinienne Hanan Alhroub élue Meilleure Enseignante du Monde

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29 novembre, était la journée internationale de la solidarité avec le peuple palestinien. Je vous propose à cette occasion une rencontre des plus inspirantes avec l’institutrice palestinienne Hanan Alhroub, consacrée en mars 2016 « meilleure enseignante du monde » par la fondation Varkey. En plus de ce titre (Global teacher prize), la fondation lui a attribué une récompense s’élevant à un million de dollars américains pour la féliciter de sa méthode d’enseignement : « apprendre en jouant/ play and learn« .

Née dans un camp de réfugiés proche de Bethléem, Hanan Alhroub a été projetée dès son plus jeune âge dans une existence adulte remplie de conflits et d’affrontements. Ayant ainsi vu sa propre enfance confisquée, elle se bat aujourd’hui pour l’enfance des nouvelles générations. Au-delà de l’instruction, cette enseignante d’exception souhaite offrir à ses élèves un environnement sain et débarrassé de toute violence. Elle tient à leur restituer leur droit à l’innocence et au rêve. Elle veut les entourer d’amour et de paix, pour que demain ils portent la volonté « de construire et non de détruire ».

Bonjour Madame Hanan AlHroub, je suis très heureuse de pouvoir vous rencontrer et vous interviewer aujourd’hui. Pouvez-vous, pour commencer, nous dire quelques mots sur votre parcours personnel ?

Je suis née dans le camp de réfugiés Dheisheh. Etant petite, j’y ai fréquenté l’école UNRWA. L’enfance dans un camp de réfugiés n’est naturellement pas semblable aux enfances dans les autres endroits du monde. Elle est différente, pleine de souffrances et de peines. Je pense ne pas me tromper en disant que l’enfant est censé être joyeux, heureux… Il est censé jouer de façon innocente et insouciante… Et bien pour ma part, je ne me souviens pas avoir été un jour un enfant, je n’ai pas joué, je ne me suis pas amusée… Néanmoins, l’école représentait pour moi l’espoir de pouvoir un jour changer cette réalité. J’ai fini mon enseignement secondaire dans des établissements publics et comme les universités étaient fermées à ce moment là [les universités ont été contraintes de fermer leurs portes durant deux ans], je me suis mariée. J’ai eu deux enfants, puis j’ai repris mes études de façon tardive. J’avais au début choisi une spécialité mais après ce qui s’est passé avec mes enfants [Les enfants de Hanan Alhroub ainsi que leur père ont été blessés par balles sur le chemin de l’école. Un évènement traumatisant suite auquel ils ont refusé de retourner à l’école et sont devenus assez violents, même entre eux], j’ai décidé de changer de filière et de m’orienter vers l’enseignement et spécifiquement l’enseignement primaire. Pour aider mes enfants à dépasser leur traumatisme, j’ai opté pour les jeux. J’invitais les enfants des voisins, on organisait toute sorte d’activités collectives, le but étant bien sûr de les pousser à aller vers les autres. Et comme cette méthode a porté ses fruits pour mes enfants, j’ai décidé de l’adopter aussi pour mes élèves.

Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur votre méthode « apprendre en jouant »?

Ma méthode consiste à offrir à l’enfant, au sein même de la salle de classe, la possibilité de jouer et d’apprendre au même temps. Je mets à sa disposition toute sorte de jouets, des éléments qui nous entourent tout simplement : lego, voitures, cartes… Cela peut même être des boites à pizza ! L’élève se retrouve ainsi à formuler des phrases ou à faire des soustractions tout en s’amusant.
L’objectif de cette méthode est de modifier le comportement de l’élève et de soigner ses traumatismes en lui transmettant certaines valeurs telles que l’antiviolence et le pardon. Un autre point important est celui de l’expression. L’expression passe par le dialogue et l’échange avec l’enfant mais aussi par le dessin, qui peut être un excellent moyen de communication. Il faut être à l’écoute de l’élève pour éviter les risques d’auto-isolement et d’enfermement dans la violence et la haine. Si tout ceci est réalisé, l’apprentissage s’améliorera tout naturellement.

Comment l’éducation peut elle incarner la résistance, selon vous?

L’éducation est pour nous, Palestiniens, le moyen le plus puissant de résister à la colonisation. Elle consolide notre ténacité. L’éducation est pour les Palestiniens une source d’espoir inépuisable. Je pense, personnellement, que tout ce que nous avons perdu par le passé était dû au fait que nous n’étions pas suffisamment éduqués. Et nous ne pourrons récupérer ce que nous avons perdu qu’à travers l’éducation. C’est primordial d’orienter nos enfants vers le savoir. C’est primordial ! L’éducation est notre meilleure arme.

Pour vous, l’éducation et le savoir peuvent donc participer au rayonnement palestinien.

C’est ce qui s’est passé avec moi. C’est ce qui m’a amenée ici, aujourd’hui, devant vous. Comme je vous le disais plus tôt, l’école est pour moi l’espoir de changer notre réalité. Grâce à l’éducation et au savoir, j’ai reçu un prix mondial et me retrouve aujourd’hui à sillonner le globe pour parler de mon expérience et de ma méthode d’apprentissage. Le savoir est une façon positive et efficace de contribuer au monde. Pourquoi s’en priver ?

Comment aider l’enfant ou l’adolescent palestinien à refaire confiance à la société et à croire aux valeurs de justice et d’humanité ? Comment l’aider à rompre avec la violence pour que demain il veuille construire et non détruire ?

Je dirais que le sentiment d’insécurité engendre forcément une perte de confiance, aussi bien vis-à-vis de soi même que vis-à-vis de sa société et son environnement. Il faudrait donc que l’élève puisse se sentir en sécurité tout d’abord, et ceci est le rôle des enseignants et des parents à la fois. Je considère même que l’enseignant est le premier responsable de ce sentiment de sécurité et de confiance chez l’enfant. L’enseignant doit aider l’élève à faire face aux circonstances dures, lui apprendre à entretenir un rapport positif avec son milieu. Il doit lui transmettre un certain savoir vivre, pour que demain cet élève devienne un citoyen actif et non un poids pour la société.

Par ailleurs, il est indéniable qu’il faille aller vers plus de justice si on veut que l’enfant palestinien retrouve pleinement cette confiance. Il faut plus de justice si nous voulons que l’enfant palestinien recouvre une vie normale, qu’il puisse grandir, étudier, se marier, fonder une famille… Nous ne voulons plus de slogans de la part des chefs d’états, nous voulons des actions, nous voulons vivre normalement, comme n’importe quel autre citoyen sur cette terre. Et je suis intimement convaincue que ce message, nous pouvons le porter à travers l’éducation et non à travers la violence.

Comment les enfants et les jeunes palestiniens voient leurs avenirs ? Quels sont leurs rêves ?

Oh, nos rêves sont grands !

Il le faut… rêver grand.

Oui, il le faut. Le problème c’est que nous, les Palestiniens, ne pouvons pas rêver comme les autres. Nos rêves sont sans cesse brisés… Mais en dépit de ces difficultés, nous rêvons. Je dirais même que ces circonstances nous poussent à rêver plus grand. Si je suis aujourd’hui élue « meilleure enseignante du monde », c’est parce qu’ils n’ont pas pu démolir mes ambitions. Au contraire, ceci a créé en moi une détermination et une volonté à franchir ces obstacles, une sorte de défi en a résulté. Et sachez que cette volonté reflète celle de tous les autres Palestiniens. Jamais nos rêves ne mourront, jamais !

Souhaitez-vous nous parler d’autres Palestiniens ayant réussi à exhausser leurs rêves, comme vous ?

Oui, tout à fait. Le peuple palestinien possède tellement de compétences. Je dis toujours que « la Palestine est une terre fertile ». Il n’existe pas une seule Hanan, il existe des milliers de Hanan ! Si on s’intéressait aux accomplissements du peuple palestinien, juste cette année, nous pourrions citer dix exemples de palestiniens ayant participé à des compétitions internationales et ayant décroché la première place : Le médecin le plus jeune au monde est une Palestinienne, une étudiante palestinienne venant d’une université palestinienne a inventé une prothèse de pied…

Avez-vous remarqué que ceux qui réussissent sont majoritairement de sexe féminin ?

Naturellement, il y a des femmes qui réussissent mais aussi des hommes. Toutefois, c’est vrai qu’on peut parler de majorité féminine (elle le dit avec amusement). Ta question est sympathique ! (ajoute-elle en riant). Les femmes sont plus tenaces. Avec elles les peines sont transformées en réussites. Les femmes savent trouver des solutions et alternatives.

Dans ce contexte, j’aimerais vous demander si le peuple palestinien est, comme la majorité des autres peuples arabes, patriarcal ? Je souligne que le peuple tunisien l’est (Je l’interroge sur le ton de l’amusement).

Oui, c’est sûr, en tant que peuple arabe, il est bien patriarcal (elle rit). Néanmoins, je voudrais dire que le peuple palestinien possède une spécificité : comme nous vivons sous colonisation, nous avons appris, hommes et femmes, à nous soutenir mutuellement. L’homme peut se retrouver prisonnier ou blessé ou même martyrisé, et c’est alors à la femme de tout gérer toute seule. Personnellement, tout au long de mon parcours, mon mari a été là pour me soutenir, mes enfants me soutiennent, fille comme les garçon, sans distinction. Je pourrais par contre signaler que l’égalité des chances n’est pas tout à fait assurée entre garçons et filles. Pour les opportunités d’emploi par exemple, oui, peut être que l’homme est en quelque sorte privilégié.
Mais globalement, en tant que peuple, tout le monde s’entraide pour l’éducation des enfants, pour le travail, pour tout. C’est en tout cas comme cela que mon environnement se conduit.

Quelle est la prochaine étape dans le projet de Hanan Alhroub, l’enseignante ? Comment allez-vous gérer votre récompense ?

Sur le plan palestinien, notre premier objectif était de faire partager la méthode « apprendre en jouant ». Et les nouvelles méthodologies d’enseignement adoptées en Palestine cette année s’appuient effectivement sur ce concept d’apprendre tout en jouant ; ceci est déjà un accomplissement pour moi. Le deuxième objectif est de former les enseignants à cette nouvelle méthode pour qu’ils puissent l’utiliser correctement auprès de leurs élèves.
Sur le plan international, on peut dire que le monde entier a pris connaissance de ma méthode. Et elle a été approuvée par plusieurs pays. Dans ce contexte, il y a eu des demandes de coopération pour instaurer la méthode « apprendre en jouant » dans des systèmes éducatifs étrangers.
Mon ambition est que ma méthode soit enseignée aux quatre coins du globe et qu’elle soit nommée « la méthode de Hanan Alhroub » comme c’est le cas pour la théorie de Pavlov, Bloom, etc.

Quel regard portez-vous sur le printemps arabe et quel message voudriez-vous adresser aux jeunes des pays concernés ?

Malheureusement ce qui se passe ne ressemble pas vraiment à un printemps. Nous espérions le voir éclore, ce printemps. Mais ce n’en est malheureusement pas un ! Il faudrait semer l’espoir à l’intérieur de ces jeunes, leur tendre la main, les envelopper… Peut être avons-nous besoin d’un printemps à l’intérieur de chacun d’entre nous pour pouvoir tous ensemble refléter un printemps au sein de notre environnement. Une rose plus une autre… c’est peut être de cette façon progressive que nous pourrions nous diriger vers un véritable printemps.

Les Palestiniens sont-ils au faîte de ce qui se passe dans le monde arabe ?

Bien sûr, absolument… Je veux dire que malgré nos conditions difficiles, nous suivons de près ce qui se produit dans le monde arabe. En tant qu’arabe…

Vous croyez toujours en l’appartenance arabe ?

Oui, moi j’y crois à l’appartenance arabe et à la patrie arabe. Oui, j’y crois. Nous arabes, nous partageons nos peines, nos souffrances… Si un enfant algérien était amené à pleurer, tous les Palestiniens seraient touchés et attristés. Soyez-en absolument sûre !
Dès qu’il arrive quoique soit dans un pays arabe, nous ne dormons pas de la nuit, sincèrement. Nous passons notre temps à suivre ce qui s’y passe, à la télé, sur les réseaux sociaux… Notre peine est une !

Dernière question Madame Alhroub, quel serait votre message aux jeunes qui voient la violence comme l’unique issue et qui rejoignent les rangs d’organisation terroristes ?

A travers votre question vous me faites penser à un débat auquel j’ai assisté et qui portait sur le pardon. Je pense personnellement que c’est aux enseignants d’inculquer la valeur du pardon à leurs élèves. C’est vraiment aux instituteurs de faire en sorte que les générations soient libérées de leur haine et rancœur. Les enfants sont souvent influencés par les appartenances politiques, religieuses et idéologiques de leurs enseignants. Il faudrait faire très attention à ceci. Il faudrait pouvoir former les instituteurs à être neutres pendant l’exercice de leur fonction et à ne pas transmettre à leurs élèves leurs convictions personnelles. Il faut apprendre à préserver nos jeunes, ils sont la force, l’énergie et l’espoir de la patrie. Nous devons leur apprendre à être positifs et non pas les abandonner à la violence et à la culture de la mort. Il faut penser à construire et non à détruire !
L’enfant passe sept à huit heures par jour à l’école. Il revient à l’enseignant de l’éduquer et non pas seulement de l’instruire. Tout ce que l’on sème, on le récolte plus tard.

Je vous remercie pour toutes vos réponses et vous souhaite du courage pour la suite de votre projet. Votre combat porte énormément d’espoir et d’inspiration pour beaucoup d’entre nous. Merci.

Cette interview a été réalisée le 28 novembre 2016, au siège de la fondation de Varkey à Londres. J’aimerais d’ailleurs remercier Madame Alhroub pour le temps qu’elle m’a accordé et l’équipe Varkey pour leur accueil chaleureux.

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