Qui sont les soldats du régiment Azov, accusés d’être les « néonazis » de l’armée ukrainienne ?

Des photos des membres de ce groupe militaire sont très partagées dans le but de montrer que l’armée ukrainienne est « infestée de néonazis ». Ils sont pourtant peu représentatifs des forces armées du pays.

Soldats ukrainiens à Marioupol, lors du cinquième anniversaire de la libération de la ville des mains des séparatistes prorusses, le 15 juin 2019.

 

C’est devenu un argument majeur des prorusses pour défendre la guerre en Ukraine : l’armée de Kiev serait infestée de néonazis. Alors que le président russe, Vladimir Poutine, a justifié son invasion par une volonté de « dénazification » de l’Ukraine, de nombreux internautes partagent ces dernières semaines des photos de soldats ukrainiens avec des symboles nazis : ceux du régiment Azov. Ils affirment que, en soutenant l’Ukraine militairement, les pays occidentaux armeraient ainsi des ultranationalistes.

Quelles sont les origines de ce régiment Azov qui se bat aujourd’hui contre l’invasion russe dans plusieurs villes du pays ? Quels sont ses liens avec le reste des forces armées ukrainiennes ? Les soldats qui le composent doivent-ils tous êtres étiquetés « néonazis » ?

A l’origine, un bataillon de volontaires néonazis pour combattre les prorusses du Donbass

Quand la guerre éclate dans le Donbass en avril 2014, l’armée ukrainienne est désorganisée et le gouvernement craint de perdre le contrôle de ce territoire au profit de la Russie, comme ce fut le cas le mois précédent en Crimée. Pour contrer les séparatistes prorusses, le gouvernement autorise des bataillons de volontaires indépendants de l’armée à combattre. Plusieurs formations armées d’extrême droite apparaissent.

Parmi elles, on trouve le « Corps noir », qui prendra rapidement le nom de « bataillon Azov » en référence à la mer qui borde la Crimée et le sud-est de l’Ukraine. Il s’agit d’une unité d’une centaine de volontaires aux idées nationalistes et néonazies, dont certains sont « issus du hooliganisme et du paramilitaire », explique Adrien Nonjon, chercheur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), spécialiste de l’extrême droite et du nationalisme ukrainien.

GENYA SAVILOV / AFP

Originaire de Kharkiv, le fondateur du bataillon, Andreï Biletski, dirige alors le parti xénophobe, antisémite et raciste Assemblée sociale-nationale (SNA). Azov va utiliser la même symbolique inspirée du nazisme que celle du SNA. Son emblème, un wolfsangel (« crochet de loup ») inversé, rappelle beaucoup l’emblème de la 2e division allemande SS « Das Reich ». Autre symbole du mysticisme nazi, un « soleil noir » représentant un svastika arrondi à plusieurs rayons est aussi incorporé un temps sur le logo du bataillon.

Sur Internet, les références assumées au IIIe Reich par certains membres du groupe sont documentées. Des photos sont régulièrement partagées par des militants prorusses souhaitant décrédibiliser l’armée ukrainienne, comme celle – remontant au moins à 2017 – où un homme pose, Kalachnikov au bras, devant plusieurs drapeaux, dont un d’Azov et un nazi aux couleurs ukrainiennes. Une autre, remontant au moins à 2015 selon Libération, montre un groupe d’hommes en pantalon treillis autour d’un portrait d’Adolf Hitler, dont l’un est vêtu d’un tee-shirt Azov.

En juin 2014, les hommes du bataillon Azov participent au combat qui permet aux forces ukrainiennes de reprendre le contrôle de Marioupol, la grande ville portuaire de l’oblast de Donetsk, dans l’est du pays. Cette victoire contre les séparatistes prorusses appuyés par Moscou forge d’eux une image héroïque aux yeux de la population ukrainienne.

Un régiment de la garde nationale depuis novembre 2014

L’accord de Minsk I, en septembre 2014, prévoit notamment de « procéder au retrait du territoire ukrainien des formations armées et du matériel militaire illicites, ainsi que des combattants irréguliers et des mercenaires ».

Les bataillons ont alors le choix entre rejoindre la garde nationale ukrainienne ou se dissoudre. En novembre 2014, le bataillon Azov devient officiellement un régiment de la garde nationale, sous la tutelle du ministère de l’intérieur ukrainien.

« Cela leur a permis de se légitimer, de recruter plus largement et d’obtenir des armes modernes. C’est devenu une unité d’élite de la garde nationale », retrace Adrien Nonjon. Des Ukrainiens sont séduits, des combattants étrangers (des Géorgiens, des Russes, des Biélorusses et même quelques Français) viennent grossir les rangs d’un régiment qui passe d’une centaine de soldats à sa création à près de 2 500 à la fin de 2017, selon une enquête du magazine allemand Spiegel. Ses soldats sont réputés durs, et certains crimes de guerre dans le Donbass (tortures, viols) leur ont été attribués en 2016 par des rapports des Nations unies ainsi que d’Amnesty International et Human Rights Watch.

SERGEI SUPINSKY / AFP

De nombreux volontaires s’engagent dans le régiment Azov sans pour autant être militants d’extrême droite. « [Le] rejoindre (…) n’était qu’un moyen de se battre pour leur pays de la façon qu’ils jugeaient la plus efficace, écrivait, en 2016, Viatcheslav Likhatchev, historien et expert en sciences politiques, dans une note de l’Institut français des relations internationalesCependant, toutes les nouvelles recrues étaient endoctrinées aux idées d’extrême droite, souvent xénophobes. »

Pour Michael Colborne, chercheur et journaliste pour le site d’enquête Bellingcat et auteur d’un livre publié en 2022 (en anglais) sur « le mouvement Azov », seule une minorité des soldats du régiment sont aujourd’hui portés par des idées d’extrême droite ou néonazies. En 2015, un porte-parole de la brigade, Andriy Diachenko, affirmait au site du quotidien américain USA Today que « seuls 10 % à 20 % des membres du groupe [étaient] nazis ».

Cette minorité constitue le noyau du régiment et continue ses provocations à la haine raciale, comme récemment lorsque des soldats se sont filmés enduisant de graisse de porc leurs balles destinées aux militaires tchétchènes musulmans qui aident la Russie.

Malgré cela, « ce n’est pas une milice qui peut faire tout ce qu’elle veut, rappelle Michael Colborne. Elle n’est pas indépendante et doit répondre aux ordres de l’Etat ukrainien ». Comme le souligne Adrien Nonjon, « l’objet de leur intégration au sein de la garde nationale a été justement d’empêcher que ces bataillons se retournent contre l’Etat ».

Un parti d’extrême droite fondé avec des vétérans du régiment Azov

Le fondateur du régiment, le suprémaciste blanc Andreï Biletski, tente d’exploiter la popularité d’Azov sur le terrain politique. Aux élections législatives de 2014, il décroche un siège de député.

En 2016, il fonde le parti d’extrême droite Corps national avec des vétérans du régiment. « C’est un mouvement national révolutionnaire d’extrême droite prônant une troisième voie, estimant que l’Ukraine ne doit se ranger ni du côté de l’Eurasie, ni [du côté] de l’Occident, décrit Adrien Nonjon. Il met en avant un nationalisme soldatique selon lequel la guerre est le meilleur moyen pour que la nation parachève sa solidification. »

Dans son article de 2016, l’historien ukrainien Viatcheslav Likhatchev écrivait : « Azov est l’exemple le plus éclatant de la légalisation, voire de l’héroïsation, de l’ultranationalisme dans le discours public ukrainien. »

GENYA SAVILOV / AFP

En 2017, des proches de Corps national et des vétérans du régiment Azov ont également créé une « milice nationale », qui veut « lutter contre la criminalité de rue, le trafic de drogue et l’alcoolisme public, selon un article du Guardian.

Une extrême droite quasi inexistante aux élections

Mais tous ces efforts pour transformer la popularité d’un régiment en bulletins de vote semblent avoir échoué. Lors des législatives de 2019, Andreï Biletski perd son mandat de député. L’alliance entre les partis ultranationalistes Svoboda, Secteur droit et Corps national n’obtient que 2 % des voix.

« Azov a grandi trop vite pour se constituer une base solide, estime Adrien Nonjon. Le milieu nationaliste ukrainien est extrêmement divisé et Corps national n’a pas su adapter son programme aux problèmes des Ukrainiens. Du fait de la menace russe, on peut aussi considérer que tous les partis ukrainiens sont aujourd’hui nationalistes, pour la défense de leur nation. »

Bien que la galaxie constituée autour d’Azov ait connu un échec dans les urnes, Michael Colborne souligne que des ultranationalistes comme Andreï Biletski ont réussi à s’intégrer et à être normalisés dans le paysage politique ukrainien. De par sa grande liberté de parole et sa capacité à multiplier ses branches (militaire, politique…), Azov a également bénéficié d’une forte popularité au sein des mouvements d’ultradroite occidentaux. Des néonazis américains, norvégiens et même français se sont ainsi rendus en Ukraine pour rencontrer ses membres.

Un régiment qui représente moins de 2 % des forces armées ukrainiennes

Difficile de dire précisément combien de personnes compte actuellement le régiment Azov. Michael Colborne estimait ce chiffre à 2 000 avant la guerre avec la Russie. Adrien Nonjon avance plutôt un chiffre situé entre 3 000 et 5 000 membres (avec les réservistes).

Le conflit en cours rend l’évaluation beaucoup plus difficile en raison des recrutements massifs auprès de la population. De plus, « l’Etat ukrainien et le régiment entretiennent délibérément le flou sur les effectifs exacts car il s’agit d’une information militaire hautement stratégique », rappelle le chercheur de l’Inalco.

Selon l’International Institute for Strategic Studies, l’Ukraine comptait au total, au début de cette année, 196 000 soldats et 60 000 membres de la garde nationale. Le régiment ne représenterait donc pas plus de 2 % des forces armées du pays.

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