Quand allons-nous fêter l’Arabe? .. Par Hela Amdouni

Riche de plus de 2000 ans d’histoire, reconnue comme officielle ou co-officielle dans 25 pays, intercontinentale puisque commune à l’Afrique et à l’Asie, s’étendant sur un espace géographique allant de l’océan Atlantique au Golf Persique, parlée par plus de 300 millions de locuteurs… telle est la langue arabe.

Au regard de ces différents points forts, on pourrait rationnellement croire que la langue arabe jouirait d’une stature de langue internationale de grande diffusion. Et bien, il n’en est rien. Pire, la langue arabe souffre d’une véritable crise, perceptible à travers :

Une littérature appauvrie

Différents rapports pointent le véritable « désamour » que porte l’Arabe pour les livres. Ainsi, la fondation de la pensée arabe indique qu’un enfant arabe lit pendant seulement 6 minutes par an en moyenne, contre 12000 minutes pour un enfant occidental. L’adulte lit, quant à lui, en moyenne un quart de page par an, tandis que cette moyenne s’élève à 11 livres aux Etats Unis et à 7 livres au Royaume Uni, selon le conseil suprême de la culture en Egypte. Par ailleurs, le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) rapportait en 2003 que les livres publiés dans le monde arabe représentaient seulement 1% de la production mondiale.

Un autre indicateur de cette « crise littéraire » est celui de la traduction. Richard Jacquemond, traducteur de littérature arabe contemporaine, écrivait en 2012 qu’ « au Nord de la Méditerranée, la part de l’arabe dans l’ensemble des titres traduits reste marginale (inférieure à 1%) ».

Pour appuyer davantage ce constat, on peut se pencher sur les prix Nobel de littérature: un seul prix a été Arabe, décerné à Naguib Mahfouz en 1988, contre pas moins de 12 prix espagnols.
Cette comparaison devient particulièrement édifiante quand on sait que l’espagnol et l’arabe sont deux idiomes aux poids à peu près équivalents.

Des sciences qui refusent l’arabisation

Un autre aspect de cette crise linguistique est la difficulté qu’éprouve l’arabe aujourd’hui à épouser la science. L’échec de la politique d’arabisation de l’enseignement scientifique, en Tunisie, au Maroc et en Algérie, la quasi-inexistence de revues scientifiques arabophones et l’extrême rareté de sources bibliographiques dans cette langue sont autant d’éléments qui cristallisent cette difficulté.

Une étude réalisée en 2015 conjointement par le Maroc et les Etats Unis révèle qu’environ 85% des élèves interrogés estiment que l’arabe n’est pas une langue de science ou de progrès!

La prééminence des dialectes

Aux problématiques évoquées ci-dessus s’ajoute le hiatus qui se dresse désormais entre l’arabe littéral et les dialectes. Vecteur essentiel de la Renaissance Arabe ou « Nahda » au XIXe siècle, l’arabe standard est aujourd’hui écrasé par les dialectes parlés dans les différentes régions du monde arabe. Allez au théâtre ou au cinéma, vous entendrez résonner les parlers nationaux, jalousement. Allumez la télé, la radio… vous aurez droit à la même chose! Sauf, durant les journaux télévisés, peut être.

Une sacralisation étouffante

L’arabe standard est aujourd’hui chargé d’une lourde connotation religieuse. Approfondir ses connaissances en langue arabe devient majoritairement tourné vers la « recherche islamique ».

Dans ce contexte, le rapport PNUD de 2003, souligne que la part de livres à caractère religieux s’élève à 17% de la totalité des livres publiés dans le monde arabe. Une part qui ne dépasse pas les 5% ailleurs dans le monde. Bien sûr, il est essentiel d’étudier le spirituel. Mais, il ne faut pas en oublier d’étudier le temporel!

Il y a presque trente ans, l’illustre écrivain égyptien Taha Hussein martelait déjà ce qui suit: « La langue arabe a besoin de se libérer de la sacralisation ; elle a besoin d’être soumise à l’action des chercheurs comme la matière est soumise à l’expérimentation des savants ».

Quand allons-nous fêter l’arabe?

Nous, Arabes, avions manqué, par le passé, la révolution industrielle. Allons-nous manquer à présent la révolution informatique? Notre ère est celle de la communication et de l’échange entre les cultures.

A ce titre, la linguistique est plus que jamais au cœur de la civilisation humaine. Allons-nous alors revigorer notre langue au potentiel exceptionnel et intégrer ce bouillonnement international? Ou allons-nous baisser les bras et abandonner définitivement l’arabe?

J’aimerais ici préciser que renforcer l’arabe ne signifie pas délaisser les langues véhiculaires telles que l’Anglais ou le Français. L’idée serait de se diriger vers un multilinguisme inclusif de l’arabe littéral et non vers un monolinguisme fâcheusement identitaire et exclusif de l’Autre.

L’ONU a fêté l’arabe, sa sixième langue officielle, ce dimanche 18 décembre. Mais nous, quand allons-nous sortir de ce déclin? Quand allons-nous fêter l’arabe?

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