Pragmatiques, Erdogan et Poutine redeviennent «amis»

Après les excuses présentées à son homologue russe, le président turc est passé mardi 9 août à la vitesse supérieure dans sa stratégie de normalisation des relations entre Moscou et Ankara, et ce, en atterrissant hier à Saint Pétersbourg, où il a été reçu par le président Vladimir Poutine.

Sans surprise, les deux dossiers les plus importants qui ont été discutés par les deux présidents sont l’économie et la Syrie.  Le dossier économique ne présente aucune difficulté, car les deux pays partagent le même intérêt, le même souci et le même désir de renforcer leurs relations économiques et commerciales qui pourraient atteindre, si tout va bien, 100 milliards de dollars par an, une somme alléchante qui explique l’empressement des deux parties à aller de l’avant.

Ces prévisions économiques et commerciales prometteuses pour les deux pays pourraient ne pas se concrétiser si le dossier syrien continue de les diviser, c’est-à-dire si Ankara continue de réclamer le départ de Bachar al Assad et persiste dans sa politique suivie depuis cinq ans, consistant à laisser transiter par son territoire l’armement et les terroristes.

Peu après son arrivée à Saint Pétersbourg, Erdogan s’est réuni en tête à tête avec Poutine pendant deux heures. Evidemment, tout ce qu’on sait de cette rencontre, c’est ce qu’ont bien voulu dire les deux présidents dans la conférence de presse commune qu’ils ont tenue après leur long tête-à-tête.

Sans surprise aussi, les deux hommes n’ont parlé que des sujets sur lesquels ils sont d’accord. Le sujet le plus épineux, la Syrie, a été évoqué très brièvement. « Nos points de vue sur le problème syrien ne coïncident toujours pas, mais nous avons un objectif commun, celui de régler la crise », a déclaré le président Poutine.

Il faut dire que les deux parties, bien qu’elles s’en défendent, sont guidées par le pragmatisme. Les responsables à Moscou savent pertinemment que ce n’est pas par amour pour les Russes ni par remords qu’Erdogan a décidé de renouer avec la Russie. Ils savent aussi que la Turquie est l’un des membres les plus importants de l’Otan et qu’elle ne sacrifiera jamais ses relations stratégiques avec l’Occident pour les beaux yeux de la Russie. Ils savent aussi et surtout qu’il y a en Turquie, plus précisément dans la base américaine d’Incirlik, une soixantaine d’armes nucléaires pointées sur la Russie et sur lesquelles Erdogan n’a aucun pouvoir. Ils savent également que le voyage d’Erdogan en Russie et la « joie » qu’il éprouve à rencontrer son « ami » Poutine, sont des cartes que joue le président turc pour régler ses comptes avec les Américains et les Européens qu’il accuse de passivité, et même de complicité avec les putschistes. Ils savent enfin que le président turc ne changera jamais fondamentalement sa politique syrienne, la preuve, quelques jours avant sa visité programmée en Russie, Erdogan a laissé transiter par son territoire une grande quantité d’armements en provenance d’Arabie saoudite et du Qatar, sans lesquels l’organisation terroriste Fath al Sham (ex-Annusra) n’aurait jamais pu reconquérir ses positions perdues à Alep…

Et pourtant, Poutine a accueilli son homologue turc dans le palais somptueux des tsars. Pourquoi?  Pragmatique, le président russe ne veut rater aucune chance, aussi minime soit-elle, d’arrêter le flux d’armes et de terroristes transitant par la Turquie. Il a un certain nombre de cartes en main (le commerce et l’économie, l’alliance avec l’Iran et l’Azerbaïdjan, les bonnes relations avec les partis kurdes, y compris le PKK) qu’il tentera de jouer dans l’espoir d’obtenir un changement de la politique turque vis-à-vis de la Syrie.

Pragmatique aussi, le président turc veut sortir de son isolement en choisissant de tendre la main à son pire ennemi, la Russie, qui, par son soutien à la Syrie, l’a empêché de réaliser ses rêves hégémoniques dans le monde arabe. Lui aussi possède quelques atouts en main dont il tentera de se servir dans l’espoir de convaincre Moscou de changer sa politique syrienne ou au moins de réduire son soutien au régime en place à Damas. Même s’il n’ignore pas qu’une telle mission relève de l’impossible, il ne perd rien d’essayer.

En attendant de voir dans quelle direction évolueront les relations russo-turques après le voyage d’Erdogan à Saint-Pétersbourg, la Russie continuera ses bombardements des groupes armés en soutien à l’armée syrienne, et l’armement saoudien et les terroristes multinationaux continueront de transiter par la Turquie.

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