Parution : le 7 novembre 1987 selon Habib Ammar

Le général Habib Ammar vient de publier ses mémoires aux éditions Simpact. En 198 pages, agrémentées par plusieurs photos, celui qui était le premier ministre de l’Intérieur après le coup d’Etat du 7 novembre 1987, revient sur sa carrière, sur les principales décisions qu’il a prises au sein des différents départements qu’il a présidés et fait part de son témoignage de plusieurs scènes de l’Histoire récente de la Tunisie.
Comme dans toute autobiographie, le « je » l’emporte dans cet ouvrage intitulé « Général Habib Ammar, parcours d’un soldat : entre le devoir et l’espoir ». A ce titre, l’auteur a cru bon d’ajouter « 7 novembre 1987, éclairages sur les événements ». Un ajout pas uniquement pour des raisons de marketing, puisque cet épisode touche quand même une bonne vingtaine de pages du livre.

Reste maintenant à savoir quel crédit donner au contenu d’un général et ancien ministre qui n’a pas toujours eu bonne presse. Les historiens répondront certainement à cette question et ils mettront du temps puisque les témoignages actuels des dirigeants de l’ancien régime, tout comme leurs prétendues victimes, pêchent tous par le manque d’exactitude, quelques extravagances et exagérations et, surtout, de la mégalomanie.
Pour le lecteur de l’ouvrage de Habib Ammar, il est impératif de se munir d’une bonne dose de scepticisme avant d’entamer la lecture. Scepticisme justifié par les contradictions, les incohérences et les histoires incomplètes de certains passages. Habib Ammar ne disant que ce qui lui sied et de son unique point de vue. Le reste, il le balaie d’un revers, sans même se dire qu’il se pourrait qu’il ne soit pas lui-même au courant de certains détails.

L’épisode du coup d’Etat commence à la page 87 avec l’évasion de l’ancien Premier ministre Mohamed Mzali à l’étranger. A l’époque Zine El Abidine Ben Ali était ministre de l’Intérieur et Habib Ammar commandant de la Garde nationale. « Nous avons tous craint, à un certain moment, au ministère de l’Intérieur, de payer les pots cassés car Bourguiba était capable de nous en vouloir d’avoir laissé Mzali filer entre les mailles de la sécurité. Or, Ben Ali et moi-même étions bien placés pour faire les frais de cette exfiltration méticuleusement préparée », écrit M. Ammar en signalant que c’est à cette période que les clans commençaient à se préparer.
Le 2 août 1987, des attentats sont perpétrés au Sahel avec des explosions criminelles touchant les hôtels Sahara Beach à Monastir et Hannibal palace à Sousse. Qui est derrière ? Un ou des noms ? Habib Ammar zappe rapidement cet épisode pour parler des manifestations organisées par les islamistes contre le régime en place. Bourguiba se serait obstiné à vouloir la tête de Rached Ghannouchi, alors en prison, mais Ben Ali (désigné Premier ministre le 2 octobre suivant) était fermement opposé à cette issue (P. 89).
La véritable inquiétude de Ben Ali sur la situation qui prévalait à l’époque a atteint son pic, d’après Habib Ammar, le 25 octobre 1987 (un dimanche). Le général décrit l’atmosphère comme étant stressante à l’époque et que cette fameuse nuit allait être la goutte qui fit déborder le vase. Il a été réveillé à 1h30 du matin par un coup de téléphone de Ben Ali qui l’a prié de le rejoindre à son domicile de la rue du 1er Juin à Mutuelleville. Habib Ammar est entré par la porte de la cuisine et fut surpris de trouver autour d’une table en plastique Hédi Baccouche (à l’époque ministre des Affaires sociales), Mohamed Chokri et Kamel Letaïef, deux jeunes amis et confidents de Ben Ali. Kamel Letaïef a été présenté à Habib Ammar en 1978 (il n’avait que 24 ans à l’époque) par feu le général Abdelhamid Cheïkh. « J’entretenais une amitié tumultueuse avec Kamel, écrit Habib Ammar. Je ne nie pas le fait qu’il a joué un grand rôle auprès de Ben Ali tout au long de sa carrière, jusqu’à l’arrivée au palais de Carthage de Leïla Trabelsi. Il a alors été écarté et est tombé en disgrâce. »
Ben Ali, âgé alors de 51 ans, était, ce soir-là, fatigué, stressé et démoralisé, d’après M. Ammar. « Ils étaient d’ailleurs tous tristes et silencieux », ajoute-t-il. La raison ? Saïda Sassi a dit (visiblement à l’un d’eux ou à un indic à eux) que Bourguiba était furieux contre Ben Ali pour n’avoir pas encore fait exécuter le chef des islamistes ‘’khwanjiya’’, Rached Ghannouchi (…) et qu’il limogera demain lundi son Premier ministre.
« Ben Ali prit alors la relève pour dire qu’il allait remettre sa démission, car il ne souhaitait ni exécuter Rached Ghannouchi, ni être démis de ses fonctions de cette manière. C’est alors que Kamel Letaïef intervient pour le dissuader, avec insistance de démissionner. J’ai immédiatement réagi en insistant sur le fait que la situation de notre pays était particulièrement grave et que la démission ne ferait que l’aggraver davantage. J’étais du même avis que Kamel, rappelant à Ben Ali la fameuse formule ‘’j’y suis, j’y reste’’ ».

Bourguiba reçut le lendemain Ben Ali, pour son entretien hebdomadaire, et l’audience se passa comme d’habitude sans aucune allusion au limogeage.
L’ancien Premier ministre en fit part à Habib Ammar et était particulièrement triste de constater la dégradation de l’état de santé du vieux leader et son incapacité à diriger lucidement le pays. « Je lui ai rappelé alors que, déjà sur son lit d’hôpital, quelques années auparavant, Bourguiba, très affaibli, avait demandé au président algérien Chedly Ben Jedid, de prendre soin de la Tunisie : ’’hanini ala tounes’’ , lui a-t-il dit », témoigne Habib Ammar. Et d’ajouter le témoignage choc : « Cette phrase signifiait déjà sa fin comme si la Tunisie n’avait pas ses propres fils pour la défendre. L’idée du changement a commencé à germer dans nos esprits lors de cette rencontre. Cela s’est passé entre nous deux uniquement et aucune tierce personne, ni pays, proche ou lointain, n’ont été mis au courant », précise Habib Ammar.
La préparation du changement à la tête de l’Etat est racontée par la suite dans le détail avec certains passages succulents. Une fois le coup d’Etat réussi, Habib Ammar zappe superbement la partie consacrée à informer Habib Bourguiba de sa déchéance.
Il ne tarira pas d’éloges sur lui par la suite, quitte à tomber dans la contradiction. Il tente ainsi de convaincre, à longueurs de phrases, que Bourguiba a continué à vivre jusqu’au dernier jour de sa vie comme du temps du palais de Carthage. « En effet, ses habitudes, son régime alimentaire, ses plats favoris n’ont pas changé ». Habib Ammar précise que le leader continuait à recevoir ses journaux et revues préférés (y compris les titres censurés), son yaourt importé de France, son linge de corps de Suisse et même un bracelet-montre qu’il aurait réclamé.
« Tout autre affirmation est pure médisance, un mensonge envers le peuple tunisien et envers l’Histoire, et une attitude de mauvaise foi, parce que personne n’aurait permis ou admis que le Grand Bourguiba fût traité autrement qu’en seigneur et maître », s’exclame le général (p. 107).
Le même pourtant admet, deux pages en avant : « C’était une marque indéniable d’égards mais que pesait-elle face à l’isolement qui lui avait été imposé jusqu’à ses derniers jours ? (…) Et on a infligé à l’avocat la pire des sanctions, celle de ne pas parler ».
Au lecteur de croire le passage qu’il désire… Il interprétera également comme il désire ce passage (p.112) dans lequel il jure ses grands dieux que lors de son court passage à l’Intérieur, ne jamais avoir mis les pieds dans les locaux de détention et d’instruction du ministère, ni dans aucun des services pénitenciers. On pourra conclure, comme le sous-entendait l’auteur, qu’il n’était donc pas témoin des tortures qui se pratiquaient dans les cellules ou, encore, qu’il était un piètre ministre ne sachant pas ce qui se passait dans les propres locaux dont il était responsable.

Comme dans les audiences de l’IVD, comme dans beaucoup d’autobiographies parues et à paraitre, chacun des anciens acteurs de l’ancien régime (victimes ou responsables) donnera sa propre vérité et ses propres mensonges. Les citoyens et les historiens se débrouilleront comme ils pourront à démêler le vrai du faux… Une chose est certaine, c’est qu’on est en train de réécrire l’Histoire et comme il n’y a pas encore de vrais vainqueurs, chacun y va de son jus…

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