L’Ecole Normale Supérieure de Tunis  » s’effondre  » .. Par Samar miled

L’Ecole Normale Supérieure de Tunis succombe au poids des années, le Monument s’effondre, après avoir hébergé des générations d’enseignants. Elle est née en 1956, et c’était la maison des petits bouts d’hommes et de femmes en tabliers blancs, qui étaient sortis soigner les esprits de la Tunisie Indépendante. Vous savez, ces professeures en tailleurs, droites et pétillantes, et ces messieurs redoutables mais paternels… Les perles de l’ancienne école, voyez-vous, et qu’on considérait, à l’époque, comme véritables prophètes.

La tradition s’est perpétuée, et la Maison du savoir a enfanté et enfante encore. Mais elle courbe l’échine sous le fardeau du temps qui terrasse, et comme beaucoup d’autres bâtiments majestueux, l’ENS rejoint aujourd’hui, les rangs des « laissés-pour-compte », et il n’y reste, littéralement debout, que ses enfants.

Les normaliens dorment dans les couloirs ou ne dorment pas : leurs nuits blanches, froides et éventées sont bercées par cette poésie du combattant, vieille et fière, qu’ils ont empruntée aux générations anciennes. Un petit bout de passé dans leurs slogans parfumés de rimes et un grand désir d’avenir dans leurs cris revendicateurs.

Aujourd’hui, ils trouvent refuge dans la cour, dans le grand jardin de cette « Maison » d’accueil temporaire, mais qui remplit celui qui y a vécu d’une philosophie qui ne court pas les rues, d’une vision particulière de l’art de vivre et de l’art d’apprendre toujours, dans les livres sous le printemps, dans les controverses improvisées ou dans ces soirées-théâtre qui font rire aux larmes.

Sous ses arbres centenaires, on apprenait ailleurs que dans les tablettes magiques qu’on distribue aux enfants comme des bonbons ; et on en est sortis un peu poètes, mais indemnes.

Aujourd’hui, les normaliens dorment dans les couloirs, mais au bout de longues concertations, le Ministère de l’Enseignement Supérieur a pris la décision de faire évacuer les lieux. On va rafistoler la maison, et entre temps, les normaliens seront SDF ; dormiront dans les foyers universitaires du quartier.

On sépare le chaton de sa maman, et on lui demande de réussir son concours d’agrégation. Il quitte le misérable sanctuaire du savoir pour se terrer chez les voisins. Et à qui la faute ? Aux responsables qui voient s’effondrer la maison de Flaubert à Carthage sans broncher, qui laissent « La maison du Bey » de La Marsa se transformer en bicoque sans regrets ; et qui ne réagissent qu’une fois l’huile est sur le feu.

Les fissures sur les murs de l’Ecole de l’élite intellectuelle du pays, sont aujourd’hui le visage d’une guerre « de longue date », menée contre un établissement ô combien fertile pour le pays, en termes de formation de professeurs et de chercheurs compétents, passionnés et amoureux d’une Tunisie qu’ils chantent dans leurs écrits, une Tunisie dont ils connaissent l’Histoire bribe par bribe ; une Tunisie qu’ils respectent mais qui ne les respecte pas en retour.

Cela fera quelques années que les menaces de fermeture de l’ENS s’accentuent, parce que les gouvernements qui se sont succédé depuis la Révolution, ont trouvé plus urgent de privilégier l’essor des écoles de commerce et des sciences, au détriment de la meilleure école littéraire du pays.

Messieurs les Responsables, aujourd’hui, les normaliens désertent leur maison, et quand ces têtes éclairées déserteront le pays, faute d’estime et de reconnaissance, qu’on ne vienne pas larmoyer sur les résultats scolaires médiocres des futures générations. Le Ministère de l’Education Nationale compte rétablir les Ecoles Normales, c’est une bonne initiative, mais peut-être faudrait-il d’abord reconstruire, physiquement et idéologiquement, la Maison-Mère avant d’en créer des bâtardes.

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