L’Association l’Art Rue : Art et Education .. Par Samar Miled

Vous connaissez surement Dream City : ce festival dédié à l’art dans l’espace public ; ou vous en avez entendu parler et vous avez regretté n’avoir jamais pu arpenter les ruelles de la Médina, le cœur battant et « les yeux grands », à la découverte de la vieille cité, enchantée et rajeunie par les émois d’artistes venus d’ici et d’ailleurs, redorer nos vieux pavés et semer des étincelles.

Vous connaissez peut-être Dream City, et vous avez aimé, et vous en voulez plus parce qu’un festival c’est magique, mais ça nous traverse comme un feu d’artifice, et sa magie est instantanée et ses lumières sont éphémères, et nos enfants en demandent encore, parce que quand l’Art habite une âme, elle ne s’en rassasie plus et elle a toujours faim.

Les enfants en redemandent, du moins, ceux qui ont eu la chance de tomber sous le charme de la Médina de Tunis après avoir vécu l’expérience Dream City. Afin d’étancher leur soif, l’association l’Art Rue a décidé d’aller au-delà des méandres de la Médina, de prendre l’Art par la main, et de frapper à la porte des écoles publiques.

De Dream City à « Dream School »

De Dream City – dont la 6ème édition est actuellement en cours de préparation – est née l’action « Change ta Classe ». C’est un projet initialement conçu par la Cité Nationale de l’Architecture de Paris, mais il a été confié à l’association l’Art Rue pour porter ses fruits en Tunisie.

L’aventure a commencé en 2012, et depuis, ses fleurs ont poussé dans six écoles tunisiennes : l’Ecole Primaire El Hafsia à Tunis, El Abbassia à Sfax, Hay Helal, Maakal Ezzaïm, kotteb Louzir et Beb Souika également à Tunis.

Le projet « Change ta Classe » consiste concrètement à transformer une salle de classe en un espace dédié aux activités artistiques et culturelles. Il s’agit de prendre un espace « aride », des murs sclérosés à coup de chiffres et de lettres absorbés sans lendemain, et de lui insuffler une nouvelle vie, en y accueillant des contes, des ateliers d’expression corporelle, d’art plastique, de théâtre… De quoi faire vibrer les murs, remuer les estrades, trépigner sur un sol en ébullition… De quoi libérer les esprits, libérer les corps, libérer l’Ecole d’une institutionnalisation parfois trop lourde, et souvent incapable de former les adultes avertis de demain.

« Change Ta Classe » s’adresse directement aux enfants. Ils sont les premiers concernés, et ils sont initiateurs du changement. L’Art Rue les met en relation avec des étudiants-architectes-designers, qui les encadrent bénévolement, et qui sont à l’écoute de leurs idées et de leurs propositions. Ils les laissent choisir la couleur, peindre une vision, fabriquer un espace de vie qui leur donnera envie d’aller à l’école tous les matins. En décembre 2016, à l’Ecole Primaire Beb Souika, les étudiants avaient soumis trois projets architecturaux, et c’est les enfants qui ont constitué le jury qui a voté pour le meilleur projet ! Quoi de mieux pour booster l’assurance chez l’enfant, et lui inculquer l’art de penser et de décider ? (Clin d’œil amical à Eya Rebaii, chargée de projets Art et Education à l’Art Rue, et aux étudiants de L’Ecole Supérieure des Sciences et des Technologies du Design de Denden, qui n’ont pas hésité à s’engager pour la bonne cause).

En 2016, à Kotteb Louzir, les élèves ont réussi à mettre en pratique le projet « Change Ta Classe », et ils ont fait mieux : ils ont réaménagé le jardin inexploité de l’école. Au lieu de jouer dans la cour bétonnée, ses candides ont commencé à profiter d’un espace plus joyeux, plus doux, d’un petit bout de nature en plein centre ville. Ils se le sont réappropriés, et c’est l’Art Rue qui leur a appris à « cultiver leur jardin ».

Après la concrétisation des premiers projets « Change Ta Classe », l’association a compris que le changement n’est fructueux, que s’il s’inscrit dans la continuité : la salle de classe transformée n’est fertile que si elle est utilisée régulièrement par les élèves et les enseignants pour assouvir une soif de culture. Pour les encourager, l’Art Rue a eu recours aux «Implantations » : la création d’ateliers artistiques dans les espaces réaménagés.

« Les Implantations » s’inscrivent dans une forme d’investissement durable. L’Art Rue a signé une convention avec le ministère de l’Education, et elle collabore avec les étudiants de l’Institut Supérieur de Musique et l’Institut d’Art Dramatique (ISAD), mais aussi avec les étudiants de l’Ecole des Beaux Arts de Tunis : tous travaillent ensemble pour assurer le bon déroulement des ateliers.

L’Art Rue ne s’arrête pas là, ses idées originales abondent. Elle mobilise les étudiants dans le cadre des « Implantations », mais elle fait aussi appel aux artistes, qu’elle familiarise avec le milieu scolaire, et qui n’hésitent pas à travailler avec les élèves, à les initier à l’Art et à leur faire découvrir le monde de tous les possibles. Il s’agit de la création des dites « Résidences Artistiques ». Sonia Kallel, artiste plasticienne, travaille actuellement sur la fabrication de la Chéchia tunisienne et sur la transmission intergénérationnelle de ce savoir-faire. Elle a adopté quelques écoles de la Médina, et elle implique les élèves dans l’élaboration de son projet. Elle leur permet d’entrer en contact avec des artisans locaux, et de connaître les secrets de la Chéchia, ce petit bonnet rouge, synecdoque de notre Histoire.

L’Art Rue travaille en général avec les écoles du centre ville, mais elle est consciente de l’importance de la décentralisation culturelle, de la démocratisation des Arts et de leur implantation dans les régions. Elle essaye donc de mettre en réseau les ministères directement concernés, les délégations régionales, les étudiants, les enseignants, les élèves et les parents pour créer une équipe infaillible, qui rêve d’une école publique plus épanouie, et qui réalise son rêve.

Ces initiatives concoctées avec amour par l’Art Rue, pourraient constituer un modèle, ou une forme de protocole qui pourrait être repris dans les régions. Les idées sont extraordinaires et les actions sont élaborées avec soin et intelligence… Il ne manque plus que la bonne volonté du ministère.

Dar Bach Hamba, un espace de vie

En 2015, l’Art Rue a décidé de s’installer au cœur de la Médina, et plus précisément au palais Dar Bach Hamba, qu’elle a transformé en « fabrique d’espaces artistiques ». Ce Palais devient comme un refuge pour les enfants du quartier, qui succombent à son charme irrésistible, et par conséquent, vagabondent moins dans les rues, et préfèrent y passer leur temps libre, en y participant à différents ateliers artistiques : danse, théâtre, art plastique etc… et en y apprennent en jouant (un jeu de société portant sur la thématique des « droits des enfants » a récemment été mis en place, et il a du succès !)

L’Art Rue a signé une sorte de contrat moral avec les parents qui permettent à leurs enfants de fréquenter Dar Bach Hamba pour bénéficier des activités

culturelles qu’elle propose, et en contrepartie, l’association a accepté d’offrir aux enfants des séances de soutien scolaire. De quoi satisfaire tout le monde !

Vous l’avez compris, l’Art Rue ne jure que par l’Art, et elle estime que les jeunes ont besoin de cette nourriture terrestre pour développer un esprit sain, libre, qui rêve et qui aime, qui ose et qui chante, prêt à affronter le réalisme trop cru du monde, en créant d’autres mondes et en s’offrant d’autres possibles. D’après Aurélie Machghoul, chargée de communication au sein de l’Art Rue l’objectif de l’association est de « former les esprits par le biais de l’Art, pour que les élèves aient une mallette à outils qu’ils pourraient utiliser dans d’autres contextes et qui pourrait leur permettre de se structurer en tant qu’individus et êtres humains en devenir ».

C’est pour cette raison que l’association l’Art Rue est à l’honneur aujourd’hui, c’est parce qu’elle a compris qu’il n’y a pas l’Art et l’Education, mais que l’Art est Education.

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