Féminisme en Tunisie : la lutte continue .. Par Samar MILED

Quand on pense à la condition des femmes dans le monde arabe, on évoque souvent l’exception tunisienne, et le miracle bourguibien est vite mentionné. Les réformes de Bourguiba, mises en œuvre en faveur des femmes et de leur libération ne seront jamais oubliées : le code du statut personnel promulgué le 13 août 1956 était considéré comme une révolution, et c’en est encore une : la femme tunisienne jouit de certains droits fondamentaux, dont d’autres femmes, pourtant modernes et occidentales (à l’instar des Américaines dans certains Etats) ne jouissent pas. L’avortement est légal et la femme tunisienne dispose librement de son corps devant la loi. La femme tunisienne est éduquée, primée, et souvent jalousée. Elle ne partage pas son mari avec une deuxième femme parce que la polygamie est illégale en Tunisie, contrairement à d’autres pays maghrébins où la polygamie est encore admise. En 2017, une loi portant sur l’élimination des violences faites aux femmes a été adoptée par l’Assemblée des Représentants du Peuple. La même année, la circulaire de 1973, interdisant aux femmes tunisiennes d’épouser un non-musulman, a été supprimée.

La femme tunisienne est protégée, et elle jouit de tous les avantages susmentionnés, cela dit, l’expression « la femme tunisienne » peut renvoyer une image infidèle de la réalité de certaines femmes tunisiennes, qui bien qu’elles soient légalement protégées par les lois civiles adoptées par leur pays, étouffent au quotidien sous les répressions traditionnalistes de leur père, leur frère, leur mari, leur cousin, leur voisin, leur oncle, leur fils, le fils du boulanger, le fils du poissonnier, le gardien du lycée, le surveillant à l’école, les surveillants dans la rue, la police à la maison, la maison au travail, le travail à la maison et rebelote, et vice versa.

La femme tunisienne, c’est aussi une femme qu’on voile sans son consentement, une femme qu’on bat sans scrupule, qu’on vend aux familles riches pour deux sous en retour de services ménagers, une femme qu’on marie au cousin de la cousine de la mère de Asma, la fille de la voisine de tata Hamida, une femme qu’on enferme à la maison dans les quartiers populaires, une femme qu’on insulte pour une robe trop courte, pour un maquillage trop prononcé, pour un visage trop naturel, pour une cigarette, des lunettes de soleil, un foulard en été, un bikini sur la plage.
La femme tunisienne dispose librement de son corps devant la loi civile, mais devant la loi patriarcale, souvent, elle demeure sans voix. On n’a donc pas besoin d’un nouveau Bourguiba aujourd’hui, ni d’un ministère de la femme qui fête une femme tunisienne de qui on se paye encore la tête, ou à qui on fait toujours la fête : le soir à la maison, le matin dans la rue, l’après-midi au travail, ou sous le soleil tranchant des champs, ou derrière les fourneaux infernaux en fin d’après-midi. On n’a pas besoin d’un nouveau Bourguiba, mais on doit préserver sa révolution, en œuvrant pour l’évolution. On n’a pas tant besoin de nouvelles lois, que de nouvelles voix : vives, féminines ou masculines, mais féministes, militantes et pluralistes.

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