Déconstruire le discours terroriste .. Par Hela Amdouni

Entre 27,000 et 31,000 combattants étrangers ont rejoint les rangs d’organisations terroristes en Syrie et en Irak depuis 2011. C’est le résultat d’investigations menées et publiées en décembre 2015 par le groupe TSF (The Soufran Group), spécialiste en renseignements. Parmi ces Djihadistes, 8,240 sont originaires du Machrek et 8,000 du Maghreb. Une donnée particulièrement vertigineuse est la suivante: la Tunisie présente l’un des contingents nationaux les plus fournis avec 6,000 Tunisiens impliqués.

Plusieurs axes peuvent être évoqués quant aux raisons qui poussent certains jeunes à quitter leurs pays pour les zones de conflits.

Axe socio-économique: La marginalisation des jeunes, l’indifférence de l’Etat face à leurs souffrances et misères, le chômage , les inégalités sociales… sont autant de réalités malheureuses exploitées par les “recruteurs” terroristes. A défaut de vivre leur citoyenneté et de se sentir utiles à leur propres pays, certains jeunes se tournent vers une organisation ou une “patrie” alternative qui loue leurs capacités, leur rétribue un soutien financier, les qualifie d’ “élus” et leur confie des “missions divines”.

Axe religieux: l’approche religieuse est également largement répandue. Un retour vers l’islam originel et sa “pureté”, une interprétation orientée du texte coranique, un accès “garanti” au paradis et ses 72 houris (ou vierges)… Voici quelques uns des arguments mis en avant pour enrôler certains jeunes spirituellement égarés.

Axe “politico-humaniste”: au-delà des approches socio-économique et religieuse, il y a l’approche politique. Son terreau fertile englobe l’ordre impérialiste américain, l’injustice faite aux peuples arabes (Palestiniens, Syriens, Irakiens), la dignité bafouée de ces derniers, leur quasi-absence de l’échiquier international, leur non droit à l’autodétermination… Cet axe vise les jeunes qui veulent sortir de la passivité et rétablir les valeurs de solidarité, de justice, d’équité… d’humanisme, en somme. Il vise les jeunes en quête de sens.

Le discours terroriste est donc bien rodé. Et suivant la sensibilité/fragilité de la “cible”, on sait -de par les témoignages et les travaux d’analyses et de recherches- que le “recruteur” va s’appuyer, de façon préférentielle, sur l’une de ces trois approches.

Ayant ces éléments en main, il est inadmissible que la Tunisie (classe politique et société civile confondues) s’occupe exclusivement de la question des Djihadistes revenants. Certes, ce sujet est essentiel mais la question préventive l’est tout autant. Plutôt que de nous focaliser entièrement sur la conséquence, ne ferions-nous pas mieux de remonter aussi à la source de ce fléau?

Pour prévenir l’embrigadement des jeunes, il est nécessaire de décortiquer et déconstruire le discours terroriste.

Instaurer le débat

Si on devait regretter une chose aujourd’hui quant au système éducatif, ce serait, sans doute, l’absence de la pensée critique. Acquérir des connaissances afin de passer une épreuve, tout oublier immédiatement après, telle est la philosophie du savoir dans nos écoles, collèges, lycées et universités -sans exception. Il serait temps d’instaurer la culture du débat, de donner à nos jeunes l’occasion de s’exprimer, de réfléchir, de questionner et de se questionner… dans un espace sain et encadré.

La place de la religion dans la société, la relation politique-religion, les libertés des femmes, le déclin des peuples arabes, la colonisation et la néo-colonisation, la signification du Djihad, l’hégémonie occidentale, l’islamophobie, les conflits confessionnels inter-musulmans (essentiellement sunnites/chiites)… l’école doit évoquer toutes ces questions et y apporter des réponses et références. Il est essentiel que le jeune soit confronté à ces interrogations dans un cadre éducatif et non au contact d’extrémistes.

A côté des lettres et des sciences, un module “pensée critique-débat” devrait ainsi être instauré. Pendant au moins une heure par semaine, il faudrait que les élèves (ou les étudiants) se penchent sur une question culturelle, historique, religieuse, politique, sociétale… La structure de la séance pourrait être la suivante: un enseignant spécialisé introduit le sujet en un temps assez court (15 à 20 minutes) puis conduit et encadre le débat.

Encourager la mobilité des jeunes dans le monde arabe

Même si elle est rarement évoquée, l’arabité continue à transcender les jeunes générations, aujourd’hui. La volonté d’embrasser les causes qui secouent la Syrie, la Palestine ou l’Irak est, pour eux, toujours d’actualité. On l’a vu, l’axe “politico-humaniste” du discours terroriste s’appuie justement dessus.

Dans ce contexte, une proposition fait son cheminement: plutôt que de léguer cette énergie et cet engagement au terrorisme, pourquoi ne pas encourager les étudiants arabes à se retrouver pour construire et non pour détruire?

Au temps de la “Nahda” arabe, les jeunes, frustrés par l’avancée remarquable de l’Europe, avaient répliqué par une quête de savoir exceptionnelle. La naissance du roman arabe, la démocratisation de la presse et de l’édition (principalement à Beyrouth et au Caire), l’intensification des échanges entre étudiants, la multiplication des cercles politiques, la modernisation et la célébration de l’arabe standard, le réformisme étatique (Tunisie et Egypte)… sont autant de formes qu’a pu incarner le réveil arabe.

C’est peut être là la solution aux problématiques actuelles: permettre aux étudiants arabes de se retrouver, se fréquenter et échanger, dans un cadre de culture et de savoir… Une idée serait particulièrement adaptée à cette volonté: celle d’encourager la mobilité des étudiants en leur permettant d’effectuer une partie de leur cursus (un semestre) dans un pays arabe autre que leur pays natal, à l’instar de ce qu’a organisé l’Europe pour ses jeunes via le programme ERASMUS.

Ce projet qui serait transnational donnerait aux étudiants la possibilité de participer à des conférences et débats, d’assister à des spectacles et pièces de théâtre, de découvrir des sites antiques… de mieux s’approprier l’histoire et la culture du monde arabe. Ce projet leur permettrait également d’initier ensemble des travaux culturels, artistiques, littéraires, scientifiques, technologiques, pour qu’ils aient la volonté de sortir de ce déclin en se dirigeant vers la lumière et non l’obscurantisme. Pour que demain, le jeune arabe s’arme non pas d’explosifs mais de savoir!

Avant de poser mon stylo, je voudrais me tourner vers vous qui lisez ces quelques lignes: plutôt que de nous focaliser entièrement sur la conséquence, ne ferions-nous pas mieux de remonter aussi à la source de ce fléau?

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