Colloque organisé par AFRAS , CERES et EU : « Pourquoi un deuxième accord de partenariat pour la Tunisie ? »

Par Michaela Dodini
( chef de la section commerciale ambassade EU Tunis )
 
On m’ a demandé de presenter, en guise de « thèse », les raisons qui nous amènent à négocier un nouvel accord, que nous apellons de Libre Echange Complet et Approfondi- ALECA. Des autres intervenants présenteront une « anti-thèse », ce qui devrait, logiquement si nous adoptons une démarche Hegelienne, nous mener à une synthèse qui reconcilie les deux points de vue. Et cette synthèse à son tour deviendra une thèse, ce qui declanchera à nouveau le processus … un long travail s’annonce donc pour le CERES !
 
En essayant d’expliquer pourquoi l’UE, de son coté, négocie un ALECA avec la Tunisie je voudrais surtout me concentrer sur les aspirations que l’UE poursuit avec cet accord, et laisser les arguments plus économiques à ma collègue Saoussen Ben Romdhane, qui à part travailler à la Delegation de l’Union européenne est issue du monde academique tunisien, en tant que professeur d’économie ayant travaillé en particulier sur la liberalisation des services.
 
Je suis sure que par la suite, SE le Ministre du commerce, ainsi que le Directeur Général M Karray donneront leur perspective sur le pourquoi la Tunisie s’est engagée dans les négociations et comment elle compte en profiter.
 
Mais d’abord je souhaite corriger l’intitulé de cette session- en effet l’ALECA ne sera pas un deuxième accord de partenariat, mais plutôt la continuation d’un procéssus qui remonte à il y a bientôt 40 ans, à 1969, lorsque la Communaute Economique Européenne –qui à l’époque comptait 6 membres, et la Tunisie ont signé un accord de coopération commercial, avec des préférences essentiellement en faveur de la Tunisie sur une durée de cinq ans.
 
Ce premier accord a été suivi d’un nouvel accord en 1976 dans le cadre de la politique méditerranéenne globale, qui couplait la coopération commerciale à la mise à disposition d’une aide économique et financière à la Tunisie. Ces accords furent ensuite renouvélés dans les années 1980 et au debut des années 1990 avec une nette augmentation de l’allocation de coopération financière de la part de la Commission, pour enfin arriver à l’Accord d’Association de 1995qui a instauré une Zone de Libre Echangepour les produits industriels en 2008.
 
Pour revenir au pourquoi l’UE négocie un ALECA aujourd’hui, il y a plusieurs raisons pour cela:

 

 
– tout d’abord parce-que les relations economiques entre la Tunisie et l’UE sont trésfortes, basées sur une histoire millenaire. Nous sommes des partenaires naturels, destinés à nous entendre et à travailler ensemble. Comme vous le savez, l’UE est le premier partenaire commercial de la Tunisie: 74.3% des exportations totales tunisiennes sont vers l’UE, et 52.8% des importations totales proviennent de l’UE (2014, INS).La Tunisie est le 33ème plus grand partenaire commercial de l’UE (0,6% du commerce UE en 2013 ). Mais ces relations ont aussi un grand potentiel sous-exploité: 80% des exportations vers l’UE se font seulement sur trois pays: la France, l’Italie et l’Allemagne! Il reste donc un fort potentiel de diversification, surtout les marchés non traditionnels des pays européens, surtout si on tient compte du fait que l’UE est un marché intégré et unique avec le meme tarif douanier extérieur et des règles communes d’importation;
 
-ensuite nous voulons un ALECA parce que la Tunisie est un partenaire stratégique de l’UE, non tellement pour la taille de son marché – qui n’est pas notre première motivation, mais pour son role primaire dans la regionmediterranneenne, role qui est devenu encore plus crucial au lendemain de la revolution ;
 
– nous avons proposé de negocier un ALECA parce que nous croyons qu’il contribuera à la relance économique en Tunisie et parce que ces négociations – et l’accord une fois conclu- enverront un signal très fort aux investisseurs européens, tunisiens et autres, que la Tunisie va mettre en œuvre une serie de mesures qui amelioreront le climat d’affaires et la gouvernance economique ;

 

 
– nous croyons en effet, comme l’a dit le Chef du gouvernement lors de la rencontre avec la Commissaire au commerce Mme Malmstrom, que cet accord pourra servir de stimulant des reformes que vous avez l’intention de faire, et que la Tunisie doit entreprendre et mener à bien pour sortir de la phase difficile que traverse son économie et pour reussir la transition economique et sociale, après avoir réussi brillament sa transition politique ;
 
– nous avons proposé de négocier un ALECA parce que nous croyons aussi que cet accord, une fois bien négocié comme la Tunisie saura certainement faire, pourra ouvrir des nombreuses opportunités pour la Tunisie, en termes d’un meilleur accés au marche européen pour les fournisseurs tunisiens de biens et services, mais aussi pour les investisseurs tunisiens et les soumissionnaires aux appels d’offre. Bien evidemment nous allons essayer aussi d’ameliorer le traitement des entreprises européennes actives sur le marché tunisien, qui souffrent encore de certaines restrictions et se plaignent d’un climat d’affaires peu transparent et d’une bureucracie excessive. En favorisant une plus forte concurrence avec les opérateurs européens, l’ALECA stimulera aussi la compétitivité des produits et services tunisiens pour les marchés internationaux mais aussi domestiques, au profit des consommateurs tunisiens.
 
– nous pensons aussi que l’ALECA pourra donner un cadre à toute la coopération et le rapprochement déjà en cours sur les différents domaines couverts par le futur accord, de la propriété intellectuelle à la reduction des obstacles techniques au commerce ;

 

 
– nous sommes intéréssés à négocier un ALECA aussi parce que nous pensons qu’il est temps de mettre à jourl’Accord d’Association, qui a feté 20 ans cet été. Beaucoup de changements sont intervenus depuis 1995 dans la structure du commerce et de l’investissement mondiaux, notamment l’emergence des chaines de valeur et la montée du secteur des services. L’Accord d’Association a servi à atteindre un certain nombre d’objectifs, notamment à impulser le commerce de biens industriels dans les deux sens et les investissements directs etrangers. Depuis 1995, notre commerce bilatéral a plus que doublé, et les exportations tunisiennes vers l’Union européenne ont presque triplé. L’AA a aussi eu un effet d’impulsion pour les IDE européens (qui sont passés de 400M DT en 2001 à 1.5 milliards DT en 2012, avec un sommet de 2.5 milliards DT en 2008).
 
Mais l’Accord d’Association a traité de facon partielle et incompleteun certain nombre d’autres sujets tels que l’agriculture, et n’a pas traité du tout des questions importantes dans la realitééconomique d’aujourd’huitelsque les services, les investissements et les obstacles techniques au commerce.
 
Je sais que certains parties de la société civile tunisienne critiquent l’Accord d’Association et demandent des études d’évaluation ex post: nous aussi pensons qu’il a performé en dessous des attentes, mais il serait illusoire de croire que l’Accord d’Association aurait pu à lui seul resoudre tous les problemes que rencontrait l’économie tunisienne, à savoir les inegalitésdans ledeveloppement de certaines regions, ou les problemes dans le marché du travail et de la securité sociale, ou encore les problemes de gouvernance. D’addosser toute la responsabilité du manque de developpement de la Tunisie à l’Accord d’Association est selon moi occulter la realité.
 
– Pour terminer, nous voulons un ALECA avec la Tunisie parce que l’Union européenne negocie une serie d’accords commerciaux avec des partenaires de grande envergure, et de proposer à la Tunisie de négocier un ALECA est un signal- selon nous- de l’importance que nous accordons à la Tunisie dans ce moment important de son histoire.
 
Je passe maintenant la parole à ma collègue Saoussen Ben Romdhane qui presentera les arguments économiques en faveur de la libéralisation du commerce des services.
 
***
En conclusion, comme a expliqué Madame Baeza, Ambassadeur de l’Union européenne, nous avons commencé le 13/10 les négociations d’un ALECA qui sera un accord d’intégration économique sur base des priorités mutuelles. Cette intégration devra se réaliser à travers une ouverture progressive et respectueuse dessensibilités de l’économie tunisienne, mais aussi parun niveau élévé d’ambitionpour que le nouvel accord soit vraiment efficace; l’ALECA inclura aussi des mechanismes guidant le rapprochement des législations et des institutions economiques vers l’acquis communautaire.
 
 
En consideration de la situation particulière que traverse l’economie tunisienne, fait qui a été rappellè sans cesse tout au long de la période de preparation depuis 2012, nous avons accepté de négocier un accord asymétrique en faveur de la Tunisie, couplé de programmes de mise à niveau sectorielle, en soutien des plans de reformes tunisiennes.
 
À la suite de la phase préparatoire, nous avons décidé avec les autorités tunisiennes de travailler sur un champ vaste de 12 chapitres, correspondant à l’ambition de conclure un accord Complet et Approfondi comme son nom l’indique.
 
L’Union européenne a presenté des textes pour chacun des chapitres, et nous voudrions commencer à en discuter en detail lors du prochain round des négociations – qui aura probablement lieu au mois de mars 2016. La Commissaire européenne au commerce a proposé que les textes de negociationdeviennent publics, ce qui sera fait au courant du mois de novembre. L’expérience récente dans d’autres négociations montre que la transparence peut favoriser l’implication constructive de la société civile et dissiper des malentendus.
 
Dans certains domaines couverts par l’ALECA, la Tunisie devra identifier le niveau d’ouverture et derapprochement règlementaire le plus indiqué. Cela est nécessaire pour que les négociateurs puissent bien identifier les priorités de la Tunisie. Comme l’a indiqué Mme Baeza en introduction, la contribution active des universitaires et centres de recherche tunisiens comme le CERES sera bien évidemment très utile.

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