Chronique – Y.C. peut-il rester à la Kasbah jusqu’à fin 2019 et avoir son projet politique ? .. Par Noureddine HLAOUI

Comment évalue t-on l’interview donnée par le chef du gouvernement et enregistrée avant d’être diffusée dans la soirée du vendredi 21 décembre 2018 sur la chaîne privée d’Attessiâ et quelles conclusions en tirer ?

 

Pour certains, il a tout dit et surtout traité de la situation économique et sociale du pays. Il a parlé de ses relations avec le président de la République, avec Nidaa, avec Ennahdha et avec l’éventuel prochain projet politique. Ila parlé, aussi, de la lutte contre le terrorisme et contre la corruption. Il a parlé des perspectives en 2019 et 2020.

 

Les thèmes « zappés »

Pour d’autres, il a parlé de tout cela, certes. Mais il a parlé aussi de son « oncle » et de « l’argent britannique ». Et surtout, il n’a pas parlé de sa position et de son « statut » au sein du futur projet politique que Walid Jalled, Leïla Chettaoui et Sahbi Ben Fraj lui imputent et dont il n’a jamais parlé.

Il n’a pas parlé de l’appareil secret imputé à Ennahdha, ni des révélations fracassantes concernant les assassinats des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Il n’a pas parlé du déficit commercial record et autres records connus par l’économie nationale.

Il n’a pas parlé des accusations quant à l’existence de hauts cadres traînant des soupçons graves au sein du ministère de l’Intérieur, il n’a pas parlé des dernières révélations sur les compromissions, du moins morales, d’Ennahdha dans l’enrôlement des jeunes et leur départ dans les zones de conflits, il n’a pipé mot du projet de loi sur l’égalité successorale car c’est un sujet qui fâche Ennahdha. Il a parlé de la justice transitionnelle, mais il n’a donné aucun détail sur les modalités d’indemnisations…

Par contre, il a enfoncé, à juste titre, d’ailleurs, d’une manière catégorique, Hafedh Caïd Essebsi. Pourtant, c’est le chef du gouvernement qui, en présidant la fameuse Commission des 13, avait largement contribué à la montée en flèche de HCE.

 

Relations tendues ou changées avec BCE ?

Il n’a pas dit la vérité sur la tension marquant ses relations avec BCE, sans oublier cette affirmation, complètement erronée concernant sa présentation devant l’Assemblée des représentants du peuple « comme me le lui a conseille le président de la République ».

Il précise, juste, que leurs relations ont changé dans le sens où elles sont, désormais, régies par les lois et la Constitutions définissant les prérogatives et les responsabilités de chacun d’eux. Or, Y.C semble oublier qu’il a été parachuté à La Kasbah, non pas par ce qui est stipulé dans la Constitution, mais par la simple volonté de BCE, initiateur du Document de Carthage et de l’idée d’un gouvernement d’union nationale.

Et, un an et demi après, il s’est aperçu que la Constitution lui procure de larges prérogatives, de loin plus importantes que celles du président de la République. Il en bénéficie, depuis. Et c’est de bonne guerre, diront certains, tant que c’est conforme à l’esprit et aux dispositions de ladite Constitution, qui commence, d’ailleurs, à être critiquée sur bon nombre de points.

Or, Y.C est allé au parlement pour voter la confiance aux nouveaux ministres comme l’exige la routine en cas de remaniement ministériel. Mais il n’y est jamais allé pour chercher la confiance en son gouvernement et en son bilan. La différence est énorme !

Et encore. Le remaniement a été reporté à plusieurs reprises jusqu’à ce que les conditions soient réunies et qu’il soit sûr d’avoir le nombre requis de députés pour voter en sa faveur.

 

Ennahdha encensé

Accusé d’être l’allié d’Ennahdha, Youssef Chahed s’en est défendu. Son argument « irréfutable » ? « Comment peut-on me coller cette étiquette alors que j’appartiens à une famille destourienne et que mon oncle maternel n’est autre que Hassib Ben Ammar », clame t-il en substance !

Et d’ajouter dans le même ordre d’idées que  « l’influence et la taille du mouvement d’Ennahdha dans son gouvernement, avec quatre ministres, sont bien moindres que celles réelles qu’il a au Parlement » avant de balayer d’un revers toutes les critique en lançant un défi aux détracteur du parti islamiste : « si des partis voulaient gouverner sans Ennahdha, ils doivent le battre aux élections » ! Qu’on n’en parle plus…

Il a reconnu l’état désastreux dans lequel se trouve la Tunisie dans plusieurs secteurs. Il les a même énumérés, mais la « responsabilité en incombe, selon lui, aux autres. Ceux qui l’ont précédé. « Ce sont les accumulations entassées par les fautes des gouvernements précédents depuis la révolution qui ont conduit le pays à des difficultés, parfois, insurmontables », assure t-il.

 

J’ai sauvé la Tunisie et son économie de l’effondrement

Mais qu’a-t-il fait pour remonter la pente ? Eh bien, il affirme et répète qu’il a sauvé la Tunisie de l’effondrement ! Ni plus, ni moins. Et d’explique cela par sa réussite à juguler le déficit budgétaire et à relever le taux de croissance. Le reste viendra en 2019 et 2020, comme il l’avait promis dans son discours d’investiture en 2016.

« J’ai dit dans ce discours que les indicateurs vont commencer à clignoter au vert en 2020 », rappelle t-il. Eh bien, en réécoutant ledit discours de trente minutes, quelle ne fut la surprise de découvrir que des termes, des expressions, voire des phrases entière ont été redites textuellement ! Et c’est grave…

Grave dans le sens où ceci prouve que l’interview aurait été ficelée à l’avance. Que le chef du gouvernement savait à quoi s’en tenir. D’ailleurs ses réponses débitées telle une récitation apprise par cœur l’attestent.

On ne peut passer sous silence sa boutade en s’adressant à Boubaker Ben Akacha : « Vous m’avez pressé de questions ardues alors que je vous croyais de la clique ayant profité de l’argent britannique… ». Cette remarque, du genre connu dit de « contrepèterie », faite bien entendu dans un sens ironique, est de l’avis général, déplacée. Comme quoi, le « dh’mar » a ses spécialistes  chez qui il coule de source…

 

Quels projets pour Chahed ?

Venons-en à la conclusion de l’interview portant sur le futur projet imputé à Chahed. Un projet duquel, de nombreux parmi ses lieutenants parlent, sauf lui, censé être le principal concerné. Le trio, Walid Jalled, Leïla Jalled et Sahbi Ben Fraj, affirme, depuis plus d’un mois sur tous les plateaux radiotélévisés, qu’un futur parti politique conduit par Youssef Chahed, verra le jour d’ici le mois de janvier 2019.

Ces députés sont convaincus que Y.C est l’homme de la situation et le seul leader capable de sauver la Tunisie. Grâce à un matraquage sous formes de déclarations, d’interviews e de statuts postés sur Facebook, ils veulent convaincre les Tunisiens qu’il faut marcher derrière Youssef Chahed qui, lors de cette interview, assure qu’il n’est pas intéressé par les échéances de fin 2019.

« Oui, je suis décidé à rester à la tête du gouvernement pour conduire le pays auxdites élections et les faire réussir comme cela a été le cas lors de celles municipales de mai 2018. Pourtant personne ne peut attester d’un déroulement à la régulière des campagnes électorales de ces municipales.

D’ailleurs, n’a-t-il pas lui-même et les membres de son gouvernement, appartenant à Nidaa, participé à la campagne de ce parti lors de ces mêmes municipales ? Il a été, lui-même, côte à côte avec l’épouse de Hafedh Caïd Essebsi couverts par le drapeau national à la clôture de cette campagne ! Cela a eu lieu, à peine 20 jours avant sa fameuse intervention dans une chaîne publique un certain 29 mai 2018 alors que BCE se trouvait à l’étranger, pour accuser HCE d’avoir, avec une équipe de mercenaires, détruit Nidaa.

 

Entre Y.C. et ses lieutenants, qui dit la vérité ?

Et la question qui se pose est la suivante : le nouveau projet politique aura-t-il Chahed en tant que leader comme le disent et réitèrent ses lieutenants ? Ou bien la négation affirmée lors de l’interview n’est-elle qu’une simple parole et que les donnes seront changées d’ici le scrutin de 2019.

En tout état de cause, les développements futurs s’annoncent aussi tumultueux qu’imprévisibles, ce qui laisse entendre des lendemains à grande polémique, d’où les craintes d’une année à gros risques sur le plan économique et social.

Il ne faut pas oublier que le plus important et le plus urgent est le règlement des problèmes en suspens avec l’approche de la menace d’une grève générale annoncée par l’UGTT pour le 17 janvier 2019, à peine effleurée, et le grand clivage dans le secteur de l’enseignement menaçant d’une année blanche, qui a été complètement zappé.

Alors, va-t-il s’occuper du gouvernement et de la gestion des affaires du pays ou de son avenir politique qui serait compromis s’il restait à la Kasbah jusqu’à fin 2019. Rien ne vaut la clarté et la transparence…

 

EXPRESSS FM

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