Avoir une opinion pour la femme musulmane: Est-ce possible? par Ikram Ben Issa

« J’ignorais que la femme musulmane avait droit d’avoir une opinion » me lança en pleine figure une vieille dame et pourtant universitaire. C’était la première fois que l’on me disait cela mais avec un peu de recul, je suis certaine que beaucoup l’on pensé.

Les années passent et je me rends compte que la posture d’une personne qui est de confession musulmane est assez particulière, surtout lorsqu’il représente une minorité visuellement accessible et dans un contexte où les actualités depuis 2001 au moins, les ont montré comme des personnes qui pouvaient se transformer en de dangereux radicalistes mais aussi, comme des étrangers et des alliés à des mouvements politico-religieux comme les Frères Musulmans.

Du coup, cette situation dans laquelle les musulmans se retrouvent impose qu’au quotidien, il y a suspicion, plus que çà, il y a méfiance quant à la manière dont pensent ces personnes qui affirment appartenir à ces communautés musulmanes.

Dans un autre article, je mettais l’accent sur l’absurdité de parler d’un islam ou encore de la communauté musulmane, tout spécialiste qui a travaillé sur le terrain sait fortement qu’il n’y a pas qu’une seule communauté de musulmans, qu’il n’y a pas qu’une manière de se représenter l’islam mais bien autant d’islam que de musulmans.

Il n’empêche que des groupes et des affinités de croyants peuvent se retrouver et développer ensemble une certaine organisation et une manière de penser la religion musulmane, mais là encore, ces personnes ne représentent qu’elles-mêmes et pas toute une religion et tous les musulmans.

C’est donc cela la complexité de l’islam pour une personne qui a besoin d’observer une structure et qui croit en la légitimité d’un chef de culte. Malheureusement ou heureusement (et même au sein des minorités religieuses comme le chiisme), le musulman est le seul capable de faire ses propres choix dans sa spiritualité et son rapport avec le divin.

Evidemment, il y a un texte sacré pour les musulmans mais qui possèdent différentes interprétations, parfois, cette interprétation est qu’il n’est pas sacré.

Evidemment qu’il y a des spécialistes de la théologie musulmane mais qui ont des interprétations différentes (mais aussi similaires, tout dépend de la thématique) ou qui mettent l’accent dans leur discours sur des sujets plutôt que d’autres. C’est aussi le cas pour les prêcheurs sur internet ou dans les mosquées: qu’un musulman aille écouter ces prêches est un choix personnel tout comme le fait qu’il souhaite pratiquer ce qui se dit dans ce prêche.

N’oublions pas également le mélange historique entre les traditions et la religion, le caractère de la personne et tout le reste. Serions-nous devant une forme de libre arbitre auquel est appelé développer le musulman? C’est en tout cas la situation dans laquelle ils sont.

Certains jeunes de confession musulmane me demandent dans le cadre de mes cours de religion islamique: « Mais Madame qui suivre alors? », « qui sont les prédicateurs ou imams que l’on devrait suivre et qui ne seraient pas des charlatans ou des individus qui ont une vision de l’islam assez violente? ». C’est une excellente question mais qui reste malheureusement sans réponse.

Un essai de réponse serait de s’intéresser à leur formation de base, d’entendre si leurs discours sont nuancés et non pas binaires ou encore de multiplier ses sources et d’analyser ces différents avis. Un travail qui demande beaucoup de temps et à notre époque, qui se donne réellement le temps d’effectuer cette démarche?

Apprendre l’histoire de l’islam et contextualiser, analyser ces textes traditionnels et religieux sont également des démarches qui permettraient aux personnes de confession musulmane qui ne l’ont pas encore fait de prendre du recul sur certains discours, d’être avertis et acquérir un esprit critique.

Et la femme musulmane? Si l’on se réfère à certains textes qui en font allusion, il est certain que le statut de la femme en islam est à revoir. Mais si l’on insère ces textes à une société du 7e siècle, nous pourrions constater qu’il y a parfois certaines réformes à son sujet. Parfois. Mais sommes-nous encore au 7e siècle? Non. Plus que cela, comment se fait-il que très peu de femmes parlent de ce que devraient être la spiritualité musulmane pour la femme? Pourquoi les discours viennent-t-ils à ce propos souvent des hommes? Parce que la majorité des théologiens sont encore des hommes.

Il n’empêche que le pourcentage de femmes qui sont devenues théologiennes ou qui parlent d’islam augmente également dans certains pays musulmans et pas forcément en Europe. C’est aussi parce que l’idée que la femme reste sous la tutelle d’un membre masculin de sa famille est toujours d’actualité et que de ce fait, celui qui prend les décisions, c’est l’homme.

Cette idée est évidemment remise en question et sur le terrain, nous pouvons constater qu’elle n’est pas forcément mise en application. Néanmoins, elle reste présente et est problématique. Pourquoi? Principalement parce que le texte coranique s’adresse tant à elle qu’à l’homme, il ne s’adresse pas à l’homme pour parler de la femme, ce qui exprime une idée claire: la femme est reconnue comme un individu à part entière et elle est donc responsable de sa propre manière de vivre et de pratiquer le religieux.

La femme musulmane a-t-elle une opinion? Evidemment, elles n’ont d’ailleurs pas une seule opinion mais plusieurs avis et parfois même des critiques à propos de la religion et de certains prêches.

La femme musulmane n’étant pas un seul et même corps, comme mentionné plus haut pour la communauté musulmane ou l’islam, il y a donc des femmes de confession musulmane, des communautés musulmanes, des islams. Ces dernières sont souvent un mélange de religieux, de tradition mais aussi de modernité. Chacune mettant en avant un aspect plutôt qu’un autre. Si les discours religieux est -notamment en Europe- celui des hommes, il n’est pas forcément l’opinion que ces femmes se font de leur spiritualité.

En effet, comme mentionnée plus haut, libre à chacun d’écouter ou de pratiquer ce qui est entendu. Il n’empêche que cette absence comblée par certaines femmes de confession musulmane et spécialistes de la question comme Malika Hamidi ou encore Zahra Ali montrent un certain développement du discours sur « la femme en islam » en Europe francophone.

L’association KARAMAH en Belgique qui milite pour les droits des femmes de confession musulmane est également une association développée par des femmes de confession musulmane et dont la présidente s’appelle Kim Lecoyer, musulmane également. A Bruxelles, un projet en lien avec les femmes qui portent le foulard s’est développé et s’intitule: « Bruxelloises et voilées ». L’une des personnes de confession musulmane investie par la réalisation de capsules où des femmes « voilées » témoignent de leur attachement à leur ville mais aussi de leur parcours scolaire ou professionnel est Ihsane Haouach.

En Suède, la création d’une mosquée où l’imam est une femme a également fait parler de par l’implication féminine dans la religion et de la position d’imam par cette femme (aux USA, il existe déjà des femmes imams).

Plusieurs conférences ou formations par des particuliers, de femmes de confession musulmane qui parlent de religion sont également réalisées et parfois, cela n’est réservé que pour les femmes.

Evidemment, si le domaine religieux reste moins remplit par les femmes, il n’empêche que les femmes de confession musulmane sont investies dans d’autres domaines de la société et cela n’empêche pas pour elles d’avoir un avis sur la religion. Pour les femmes musulmanes qui portent le foulard, c’est aussi l’occasion d’affirmer leur présence au sein de la société, c’est le cas aux Etats-Unis, d’une journaliste, Noor Tagouri qui a fait la une du journal PlayBoy ou encore d’une autre musulmane, Halima Aden qui est devenue candidate pour devenir « Miss Usa » et qui avec son foulard et son burkini s’est présentée avec les autres candidates. Enfin, en milieu sportif, nous avons l’escrimeuse, Ibtihaj Muhammad qui participa aux derniers Jeux Olympiques.

L’objectif de ces cas isolés? La volonté de provoquer les gens afin de prouver plusieurs choses: qu’Occident et femme qui porte un foulard, c’est possible.

Mais plus que cela, pour beaucoup, ce genre d’attitude est un cri de la part de ces femmes musulmanes et occidentales qui ne supportent plus d’être marginalisées et étiquetées à cause d’un fichu bout de tissu.

Ainsi, si les contraintes se situent d’une part, dans les propos religieux, il y a d’autre part, des contraintes externes à ces mondes religieux que ces femmes rencontrent. Ces contraintes peuvent également être la représentation qu’on en donne de ces femmes.

Evidemment, si les femmes qui portent le foulard sont les premières touchées car visibles, les femmes de confession musulmane qui ne portent pas le foulard sont tout autant touchées mais d’autres manières. Enfin, pour répondre à la question posée au départ: « Avoir une opinion pour la femme musulmane: est-ce possible? », oui mais ce n’est définitivement pas facile.

source: huffpost

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