«Un prélude à une nouvelle ère géopolitique» .. Par Dr. Arslane Chikhaoui

Dr. Arslane Chikhaoui au sujet du sommet arabe d’Alger

Docteur Arslane Chikhaoui est expert en géopolitique et membre du Conseil consultatif d’experts du World Economic Forum. Il est partie prenante dans divers groupes de travail ‘Track 2′ du système des Nations unies (Unscr 1540).
Il revient, dans cet entretien qu’il nous a accordé, sur les possibles rebondissements que pourra générer le sommet d’Alger sur la géopolitique arabe. Il détaillera pour nous, dans une lecture avisée, les différents paliers de scénarios des répercussions ou dividendes que ce sommet pourrait récolter. Il estimera que le processus de réconciliation auquel a abouti la diplomatie algérienne, devra produire des effets positifs. Écoutons-le.

L’Expression: L’Algérie vient de réussir ce que le monde arabe n’a pas su accomplir depuis des décennies. La réunification des rangs, un coup de maître,ne devrait-il pas profiter à une reconfiguration géopolitique du monde arabe?
Dr Arslane Chikhaoui: Je souhaite rappeler tout d’abord que dans le cadre de sa diplomatie de proximité, l’Algérie, tout en préservant son principe de non-alignement, s’engage dans des actions multilatérales ou bilatérales de pacification dans la résolution des conflits (ex- crises au Mali, en Libye et en Ukraine). En accueillant en jJuillet dernier, le président palestinien Mahfoud Abbas et le chef du bureau politique du mouvement palestinien Hamas, Ismaïl Haniyeh, leur première rencontre depuis 2016, l’Algérie continue de consentir des efforts considérables permanents. Sous les auspices de l’Algérie, le processus a abouti à une réconciliation inclusive inter-palestinienne, jugulant les divergences inter-factions, notamment, au sujet du rôle de l’Autorité palestinienne, le devenir de son Président, la question de la sécurité et celle de la légitimité électorale ainsi que les négociations concernant les prisonniers détenus par Israël. L’Algérie a souhaité, à travers ce nouveau round du dialogue inter-palestinien global et inclusif entre les 14 factions, du 11 au 13 Octobre, arriver à mettre un terme définitif à la division endémique, qui mine le développement d’un futur de l’État palestinien, issu de la déclaration d’Alger du 15 novembre 1988 et surtout assurer le suivi et la mise en oeuvre de la feuille de route adoptée à Alger le 13 octobre 2022. Pour mémoire, depuis l’été 2007, l’arène palestinienne est en proie à une division politique et géographique, le mouvement Hamas contrôlant la bande de Ghaza, tandis que la Cisjordanie est administrée par un gouvernement formé par le mouvement Fatah dirigé par le président Mahmoud Abbas. Le rôle et l’expertise de l’Algérie en tant que facilitateur de ce dialogue inclusif ont été extrêmement appréciés surtout qu’elle a maintenu sa posture de ne pas s’immiscer dans les discussions. Il est clair qu’au regard de la nouvelle dynamique géopolitique, l’Accord de réconciliation inter-palestiniens d’Alger du 13 octobre 2022 s’érigera incontestablement en contrepoids à l’accord d’Abraham de 2020.

Le sommet arabe d’Alger promet d’être riche en rebondissements et événements attendus et annoncés aussi. Pourrait-on espérer des résultats déterminants pour un bloc arabe à édifier?
Le sommet arabe se tiendra à Alger à la date proposée par l’Algérie et adoptée par les ministres arabes des Affaires étrangères le 9 mars à l’issue de leur réunion au Caire, soit les 1er et 2 novembre 2022. Cette date à une symbolique en lien avec les principes fondamentaux immuables de l’Algérie concernant l’aspiration des peuples à leur indépendance. Il coïncide également avec le 44ème anniversaire de la déclaration d’Alger du 15 Novembre 1988 par l’OLP, retenue par l’État de Palestine comme sa déclaration d’indépendance. Ce sommet sera une date charnière entre deux époques et deux contextes géopolitiques différents et marquera certainement une étape nouvelle dans la concorde arabe pour permettre aux relations intra-arabes d’évoluer dans la stabilité et la sérénité. La réconciliation inclusive inter-palestinienne d’Alger en est le prélude. Les sujets des conflits de faible et de moyenne intensité dans la région et par ricochet dans la zone sahélo-saharienne seront certainement à l’ordre du jour. Mais au-delà, c’est de la réforme structurelle de la Ligue arabe pour son adaptation au contexte nouveau de multipolarité qu’il sera question. De mon point de vue, le Sommet de la Ligue arabe d’Alger de novembre prochain, qui s’inscrit dans le prolongement de la réconciliation inter-palestinienne sera le sommet de la concorde arabe qui marque le passage vers la nouvelle ère de reconfiguration géopolitique.

La diplomatie algérienne retrouve ses lettres de noblesse depuis peu. Quelle est votre lecture de ce come-back diplomatique de l’Algérie? Pourrait-on espérer des résultats déterminants pour le bloc arabe?
Le regain de la dynamique diplomatique engagée par l’Algérie dénote sa volonté de se repositionner sur la scène internationale comme partenaire clé dans la région, sans pour autant remettre en cause les fondamentaux de sa politique étrangère, de défense et de sécurité face à de nouveaux acteurs qui sont incontestablement en train de bousculer l’ordre établi avec l’avènement d’un monde multipolaire. Avec sa réinsertion progressive sur la scène internationale, l’Algérie s’attèlle à renforcer sa crédibilité et s’arrime graduellement à ce nouveau contexte régional et international, en mutation profonde. Cette démarche a commencé, entre autres, par son adhésion au dialogue méditerranéen de l’Otan, par la signature d’un Accord d’Association avec l’Union européenne qu’elle souhaite revisiter et par sa participation au processus de négociations en cours pour son adhésion éventuelle à l’OMC. Son appel aussi à la résolution des conflits de faible intensité (Libye, Mali, Yémen) par la voie du dialogue politique et de la réconciliation inclusive et d’offrir ses bons offices de facilitateur au regard de son expérience et expertise dans ce domaine (Iran-Irak, Iran-USA, Ethiopie-Erythrée, et d’autres), la mise en oeuvre d’accords régionaux et continentaux de libre-échange (Gzale et Zlecaf), etc;… L’Algérie s’appuie d’ores et déjà sur des plates-formes privilégiées pour activer à l’échelle régionale et sous-régionale (UA, 5+5, Cemoc, Transsaharan Counter Terrorism Initiative, Afripol) et compte relancer le Mouvement des pays non-alignés en adéquation avec la reconfiguration géopolitique. Les bouleversements géopolitiques auxquels la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), en particulier, fait face présentement poussent nécessairement l’Algérie à revisiter et à afficher sa stratégie de positionnement. Face aux nouveaux défis, ces enjeux de sécurité, d’intégration et de convergence régionales, l’Algérie est, incontestablement, dans une phase de consolider sa doctrine en matière de politique étrangère pour son repositionnement stratégique sur la scène internationale laquelle est progressivement «redessinée». Malgré cette ouverture engagée qui se poursuivra certainement avec plus d’acuité dans le cadre d’une intégration régionale progressive et d’une politique de voisinage de convergence, le paradigme de la politique étrangère de l’Algérie demeurera irrévocablement tributaire de ses principes d’autodétermination, de respect de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans les affaires internes des États souverains.

L’Algérie est depuis quelque temps courtisée par les différentes chancelleries mondiales. Ce come-back diplomatique est-il dû à la seule géopolitique de la guerre en Ukraine, à la crise énergétique ou est-ce le fruit d’un redéploiement diplomatique porteur, découlant d’une stratégie dûment élaborée?
La crise politico-militaire russo-ukrainienne qui a suivi la crise pandémique de Covid-19, ainsi que le contexte régional en Afrique du Nord et au Sahel font que l’Algérie dans son regain diplomatique s’appuie, notamment, sur une diplomatie à double levier, énergétique et de proximité pour un positionnement stratégique. Au regard de la recomposition de la cartographie des alliances géopolitiques avec le développement, vraisemblablement, d’un monde multipolaire, l’Algérie réaffirme ses appartenances géographiques et définit ses aires d’intérêts géoéconomiques et stratégiques et par la même affiche ses positions de principe qui demeurent irrévocables depuis son indépendance, en l’occurrence sa posture déclarée de non-alignement. Il est clair que l’Algérie va continuer à militer pour la résolution des crises et conflits d’intensités variables, notamment dans la région du Monde arabe, de l’Afrique, du Sahel et de la Méditerranée par des solutions politiques et non militaires. La concorde, le dialogue et la réconciliation politique inclusive sont les voies que continuera l’Algérie à prôner. Malgré cette nouvelle dynamique géopolitique, l’Algérie demeure incontestablement un acteur clé dans les processus de réconciliation et de stabilité compte tenu de son expérience, voire son expertise avérée à travers les cinquante dernières années.

Mohamed OUANEZAR 29-10-2022

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *