Tunisie: Saïed et la diplomatie tunisienne…Unité maghrébine et solutions régionales (Analyse)

Une tentative de lecture des contours de la politique étrangère du nouveau président tunisien sur la base de certaines de ses déclarations et à la lumière de l’allocution prononcée après l’annonce de sa victoire

« Nous œuvrerons pour les Causes justes, au premier rang desquelles figure la Cause palestinienne et nous tisserons de nouveaux liens avec l’ensemble des peuples et des Nations », c’est en ces mots que le président tunisien, Kaïs Saïed, a présenté, immédiatement, après l’annonce de sa victoire, dimanche 13 octobre, les grandes lignes de sa politique étrangère.

Saïed a affirmé également que « l’Etat continuera à exister avec ses lois et ses engagements internationaux », de même qu’il a tenu à « remercier les frères dans tous les pays arabes et musulmans », exprimant sa volonté de se rendre en Libye, et annonçant que l’Algérie sera le premier pays qu’il visitera.

Le nouveau président avait appelé également dans des déclarations faites auparavant à « l’impératif qu’il y a à tirer une fierté de l’appartenance à la nation arabe », relevant l’existence d’un « besoin de changer l’appellation de la Ligue des Etats Arabes pour qu’elle devienne désormais la Ligue de la Nation (Oumma) arabe ».

La souveraineté nationale

L’ancien diplomate tunisien Taoufik Ouannès a estimé, dans un entretien accordé à l’agence Anadolu, qu’il est « difficile à ce stade des choses de pronostiquer les contours de la politique étrangère qu’adoptera Saïed dans la mesure où ce dernier n’a aucune expérience ni historique dans le domaine des relations diplomatiques ».

Taoufik Ouannès

Ouannès a, cependant, nuancé son propos en indiquant que l’on pourrait présager certaines orientations générales de cette politique via les déclarations du nouveau président.

« La souveraineté tunisienne disposera d’une place privilégiée dans le mandat de Kaïs Saïed. Elle s’illustrera, principalement, à travers les relations extérieures, que ce soit avec l’Europe voire avec les pays du Golfe et les Etats-Unis d’Amérique. Le nouveau président tentera de chercher en premier et dernier ressort l’intérêt de la Tunisie, notamment, dans le domaine économique », a-t-il expliqué.

« Saïed soutiendra sans doute les justes Causes dans le monde, particulièrement la Cause palestinienne et les causes de libération en général », a-t-il relevé.

Et étant donné sa formation et sa carrière de juriste, poursuit l’expert, il « s’attachera scrupuleusement à respecter la légalité internationale sur la base des résolutions des organisations internationales et des Nations Unies et des conventions et règles du droit international ».

Dans une interview accordée, récemment, au journal jordanien al-Doustour, après son élection, en réponse à une question sur l’existence de parties étrangères qui seraient à l’origine de sa candidature ou s’il s’agit d’une décision personnelle, Kaïs Saïed a martelé : « Je réfute toute ingérence internationale. La Tunisie est un Etat souverain, et la décision de se porter candidat est une réponse exclusive à l’appel du devoir. »

Il a ajouté « Nous n’accepterons de tutelle de quiconque sur nos choix. Nous coopérons avec eux (les autres pays) sur un pied d‘égalité. Nous puisons notre volonté, notre force, notre position dans le monde de notre volonté de l’intérieur. Les alliances avec les grandes puissances ne peuvent être profitables si vous êtes en situation de subalterne par rapport à ces forces. Nous ne sommes pas vos ennemis mais nous n’accepterons point de tutelle ».

L’Unité maghrébine

Le diplomate Ouannès estime dans ce cadre que « la vision de Saïed de la politique étrangère comportera une tentative de ressusciter le projet maghrébin », à travers la résolution de la crise libyenne, en conférant à l’Algérie et à la Tunisie un rôle particulier en la matière ».

« Il y aura une coordination et une coopération entre les 5 pays du Maghreb arabe (Tunisie, Algérie, Maroc, Libye, Mauritanie), en vue de ressusciter l’Union du Maghreb Arabe qui trébuche, à travers une tentative de résolution de l’affaire du Sahara entre l’Algérie et le Front Polisario d’une part et le Maroc d’autre part, un des dossiers importants auquel le nouveau président accordera une importance certaine », a poursuivi Ouannès.

S’agissant du dossier libyen, le diplomate estime que « l’initiative du président disparu, Béji Caïd Essebsi lancée en vue de trouver une solution à la crise dans ce pays, n’a pas abouti à un résultat concret, ce qui incitera Kaïs Saïed à identifier d’autres voies pour jouer un rôle dans ce dossier » épineux.

En janvier 2017, Caïd Essebsi avait lancé une initiative pour résoudre la crise libyenne, en coordination avec l’Egypte et l’Algérie. Il avait appelé, notamment, l’ensemble des protagonistes libyens à « hâter l’identification d’une plateforme commune de dialogue et de réconciliation, à rejeter l’exclusion et la discorde pour édifier un Etat libyen au sein duquel le peuple bénéficiera de la stabilité et de la sécurité ».

Les relations avec l’Europe

S’agissant des relations avec l’Union européenne (UE), et principalement avec la France, premier partenaire économique de la Tunisie, Ouannès a qualifié ces relations « d’anciennes et d’importantes ».

« Je prévois que Saïed ne continuera pas à concevoir ces relations à l’instar de qu’elles ont toujours été et qu’elles sont actuellement. Parmi les problèmes qui ont été posés, figure celui de l’insatisfaction quant à la situation actuelle. A cet effet, il est nécessaire de rectifier le tir », a indiqué le diplomate.

Ouannès a évoqué à ce propos l’Accord de Libre échange complet et approfondi (ALECA), dont les négociations avaient été suspendues depuis des mois, prévoyant une reprise des pourparlers sur la « base d’une évaluation de la situation et à la lumière des précédentes négociations entre les deux parties depuis les années 90 ».

Lancées au mois d’octobre 2015, les négociations sur l’ALECA ont été suspendues pour des raisons électorales aussi bien en Tunisie qu’en Europe.

Les autorités tunisiennes avaient indiqué à l’époque que l’accord vise à « assurer une plus grande intégration de l’économie tunisienne dans l’économie européenne ».

Devant être conclu à la fin de l’année 2019, l’ALECA suscite les appréhensions d’une frange des Tunisiens qui estiment que cet accord impactera négativement sur les opérateurs économiques dans les secteurs des services et de l’agriculture ainsi que sur leurs capacités, ce qui risque d’engendrer une hausse du taux du chômage et la réduction du tissu des PME, parallèlement à ses répercussions sur la sécurité alimentaire et énergétique.

Globalement, Ouannès prévoit une « révision des relations extérieures avec l’Europe et avec la France en particulier en vue de leur conférer d’autres dimensions et de leur faire frayer d’autres voies, sans pour autant rompre ou abroger les engagements de la Tunisie avec ces pays, d’autant plus que Saïed avait affirmé à maintes reprises sa volonté d’assurer la continuité de l’Etat ».

Le diplomate tunisien n’exclut pas que la politique du nouveau président empruntera de nouvelles voies, dont la recherche de marchés alternatifs pour éviter que la Tunisie ne soit isolée ».

La Palestine : un soutien inconditionnel

La Cause palestinienne était présente en force dans l’annonce informelle des contours de la politique étrangère de Kaïs Saïed, qui a formulé dans l’allocution prononcée à l’occasion de sa victoire son espoir de « placer le drapeau palestinien aux côtés du drapeau tunisien ».

L’analyste a avancé que le nouveau président offrira son soutien total à la Cause palestinienne, estimant probable un « engagement total à défendre la Palestine dans les instances internationales et au sein de la Ligue arabe, sans condition préalable ».

Les relations avec la Syrie

S’agissant du dossier syrien, Ouannès considère que « parmi les premières mesures que pourrait prendre le nouveau président sera le rétablissement des relations avec la Syrie, d’autant plus que la rupture des relations avec ce pays arabe n’a, aujourd’hui, aucun sens, compte tenu du changement de la conjoncture et que le régime de Bachar al-Assad a été stabilisé et que la continuité de l’Etat a été assurée ».

« La Tunisie préside toujours la Ligue arabe et il est impératif qu’elle s’emploie, d’une manière ou d’une autre, pour que la Syrie reprenne son siège à la Ligue et elle est en mesure de jouer un rôle en cela », a ajouté le diplomate.

Le Golfe

Concernant les relations avec les pays du Golfe, l’ancien diplomate a affirmé qu’il est « possible de tenter de faire extraire la Tunisie, d’une façon ou d’une autre de la politique des axes et des accords militaires, de même que de tenter une initiative aux fins d’apaiser les relations entre les pays du Golfe ».

« Il est nécessaire d’expliquer les relations avec les pays du Golfe ou du moins de clarifier la position tunisienne vis-à-vis de chacun d’eux », a-t-il poursuivi.

« Tout au long du mandat de feu Béji Caïd Essebsi, les relations avec ces pays n’étaient pas suffisamment claires, il s’agissait d‘une zone grise », a encore dit Ouannès, relevant la nécessité à ce que ces relations soient claires et fondées sur des bases convenues et fixées au préalable ».

« A mon avis, il ne faut pas prendre parti avec un pays contre un autre ou en faveur d’un axe au détriment d’un autre. La Tunisie se doit de s’employer à assainir l’atmosphère de ses relations avec tous les pays », a-t-il insisté.

Selon le texte de la Constitution tunisienne, le président de la République compte parmi ses prérogatives la présentation de l’Etat, la détermination des politiques publiques dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale, s’agissant de la protection de l’Etat et du territoire national, contre les menaces internes et externes, et ce après consultation du Chef du gouvernement.

La Révolution constamment présente

D’aucuns considèrent que Saïed, qui n’était pas connu avant la révolution de 2011 sur la scène nationale, qu’en sa qualité d’expert juridique et de professeur de droit, fait partie des principaux soutiens à la révolution des jeunes, et qu’il est connu pour son appui substantiel à la Révolution tunisienne qui a fait tomber le régime de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali.

Selon Saïed, ce qui s’est passé en Tunisie en 2011 est une « révolution humaine », considérant que de « nombreux peuples se sont inspirés de la Tunisie, de ses hommes et femmes libres, en termes de capacités à s’organiser en dehors des cadres traditionnels ».

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