« Montjoie ! Saint-Denis » … La gifle de la France à sa classe dirigeante

– l’agression contre Macron a braqué les projecteurs du monde entier sur une radicalisation de la France, où 4 militaires sur 10 votent pour une extrême-droite de plus en plus active sur une scène politique que la France elle-même peine à assumer.
AA / Tunis / Mourad Belhaj

«Montjoie ! Saint-Denis ! A bas la macronie !» C’est par ce cri qu’un homme répondant au nom de Damien Tarel, a agressé le chef de l’Etat français en marge d’une visite qu’effectuait Emmanuel Macron dans un lycée hôtelier à Tain-l’Hermitage, près de Valence, dans la Drôme, dans le cadre de son «tour de France des territoires».

**Qui est l’auteur de cette agression ?

Sans casier judiciaire, inconnu des services de police, Damien Tarel est un jeune homme de 28 ans, fan d’arts martiaux historiques. Lors de l’enquête qui a suivi son interpellation, il a été établi, selon le journal français «Le Parisien», qu’il suivait la page YouTube « le Médias pour Tous », d’un militant de l’extrême-droite, Comme celle de Papacito, une autre figure de l’extrême-droite française cataloguée comme raciste, sexiste et homophobe, de même qu’il s’est avéré être fan des publications d’Henry de Lesquen, figure de l’extrême droite-française condamné pour négationnisme et provocation à la haine.

Toujours selon «Le Parisien», le jeune homme était en état d’ébriété lorsqu’il a agressé Macron. Un geste qu’il revendique comme politique.

« Il s’est dirigé vers moi avec un regard tout à fait sympathique et menteur, pour faire de moi un potentiel électeur, j’ai été pris de dégoût », a-t-il déclaré lors de sa comparution devant le tribunal correctionnel de Valence. Et d’ajouter : « Je pense qu’Emmanuel Macron représente très bien la déchéance de notre pays ».

Damien Tarel a écopé, jeudi, de quatre mois de prison ferme, et 14 mois avec sursis.

Si d’aucuns s’attendaient à une condamnation plus lourde, de nombreux médias n’ont pas manqué d’observer que les présidents Hollande et Sarkozy avaient par le passé été ciblés par des agressions semblables, mais les coupables de ces actes n’avaient écopé que de peines de prison avec sursis.

**Comment a réagi Macron ?

Dans une interview accordée au journal « Le Dauphiné Libéré », Emmanuel Macron a affirmé qu’Il fallait « relativiser cet incident qui est, je pense, un fait isolé. »

Et d’expliquer : « Il faut respecter les fonctions dans la République et je ne lâcherai jamais ce combat (…) Le peuple français est un peuple républicain. L’écrasante majorité des Français est intéressée par les problèmes de fond. Sur le principe, je serai intraitable, mais ne laissons pas des faits isolés, des individus ultraviolents, comme il y en a toujours quelques-uns dans les manifestations aussi, prendre possession du débat public : ils ne le méritent pas. »

Lors du Conseil des ministres du lendemain, mercredi, Emmanuel Macron est revenu sur l’agression dont il a été victime, selon le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. « Il a redit qu’aucune violence ne saura être banalisée dans notre pays, qu’elle soit langagière ou en actes. Il nous faudra la condamner », a rapporté Attal.

​​​​​​​**Pourquoi « Montjoie Saint-Denis ? »

Cri de guerre du royaume de France, l’expression renvoie à la bannière du roi Charlemagne, l’oriflamme, conservée au sein de l’abbaye de Saint-Denis (saint patron des rois de France). Une bannière également appelée «Montjoie», derrière laquelle se rassemblait l’armée médiévale lorsqu’elle s’engageait dans une bataille. L’expression «Montjoie ! Saint-Denis ! » est devenue depuis le cri de ralliement de l’ « Action française »

L’Action française a vu le jour en tant qu’école de pensée d’un mouvement politique nationaliste et royaliste d’extrême droite, qui s’est principalement développé dans la première moitié du XXe siècle en France.

Le mouvement a été fondé en 1898 par le militant nationaliste Henri Vaugeois et le journaliste et homme politique Maurice Pujo, afin d’opérer une réforme intellectuelle du nationalisme. Influencée par le journaliste, essayiste et homme politique Charles Maurras, l’Action française devient royaliste et adopte la doctrine du nationalisme intégral.

Celui-ci ambitionne d’être une doctrine contre-révolutionnaire, censée assurer la cohésion de la France et sa grandeur.

Charles Maurras estime que la société française de la fin du XIXe siècle est corrompue et décadente, réalité qu’il impute aux forces libérales de cette époque qu’il désigne par l’appellation « les quatre États confédérés », à savoir : les juifs, les protestants, les francs-maçons, et les étrangers, qui sont à ses yeux l’incarnation de « l’anti-France », et dont la nation française doit se défaire.

La Ligue d’Action française est constituée dans la foulée, comme une organisation de propagande et de recrutement de l’Action française, qui se dote également d’un service d’ordre et de protection baptisé « les camelots du roi ».

Plus qu’une formalité d’adhésion, le serment des membres de la ligue d’Action française est une profession de foi par laquelle le « ligueur » s’engageait en tant que « Français de naissance et de cœur, de raison et de volonté (…) à combattre tout régime républicain. L’esprit républicain désorganise la défense nationale et favorise des influences religieuses directement hostiles au catholicisme traditionnel. Il faut rendre à la France un régime qui soit français ».

Le prestataire de serment devait ensuite faire allégeance à la monarchie française que le mouvement appelle à restaurer :

« Notre unique avenir est dans la Monarchie, telle que la personnifie Mgr le Duc d’Orléans, l’héritier des quarante rois qui, en mille ans, firent la France. Seule, la Monarchie assure le salut public, et, répondant de l’ordre, prévient les maux publics que l’antisémitisme et le nationalisme dénoncent.

Je m’associe à l’œuvre de la restauration monarchique. Je m’engage à la servir par tous les moyens ».

** « Humilier la République »

La gifle est un geste politique ancré du côté de l’Action française, visant à « infliger une correction à la République afin de l’humilier ». En 1910, le militant royaliste Lucien Lacour, membre des « camelots du roi », a giflé le président du Conseil de l’époque, Aristide Briand, sous l’impulsion duquel fut votée la loi de 1905, qui a ancré la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Léon Blum, autre éminent homme d’Etat français de l’époque, qui fut député socialiste et plus tard président du Conseil, a également été victime d’une agression menée par les « camelots du roi » en 1936. Un lynchage en pleine rue qui faillit coûter la vie au député socialiste de confession israélite, alors âgé de 64 ans.

L’incident conduisit le président français de l’époque, Albert Lebrun, à dissoudre la Ligue d’Action française, la Fédération nationale des Camelots du roi et la Fédération nationale des étudiants d’Action française.

Le ralliement du maitre à penser du mouvement, Charles Maurras, aux « lois raciales » du gouvernement du Maréchal Pétain durant la deuxième guerre mondiale, finit de sonner le glas de l’Action française en tant que mouvement politique de premier plan dans la France de l’après-guerre.

Il n’en demeure pas moins que le courant de pensée a su subsister, malgré le lent déclin de l’Action française suite à la mort de Maurras en 1952. Après une traversée du désert durant la seconde moitié du XXème siècle, faite de scissions, de ruptures et de tiraillements, le mouvement refait surface à la faveur du « retour du conservatisme » qui marque le début du XXIème siècle.

François Bel-Ker, actuel secrétaire général de l’Action française, revendique une démarche intellectuelle dans le renouveau de son mouvement. « L’idée, c’est d’être un laboratoire d’idées », souligne-t-il, « Nous cherchons à répondre à l’ensemble des enjeux qui touchent à l’intérêt national, comme la souveraineté, l’écologie ou la mondialisation », expliquait dernièrement le secrétaire général de l’AF qui se défend d’être un parti politique.

Son objectif : « Préparer la restauration de la monarchie et, dans l’attente du retour du roi, œuvrer pour la défense de l’intérêt national », selon son site internet. Présente dans 60 villes en France, l’Action française revendique l’ouverture d’une antenne régionale tous les mois.

Pour le professeur de droit et co-auteur du « Dictionnaire du conservatisme », Frédéric Rouvillois, « une espèce de conservatisme politique se réaffirme avec la montée en puissance de la construction européenne, des évolutions sociétales importantes, des migrations et donc du problème de l’identité », et d’affirmer que « L’Action française est la pointe ultime de ce mouvement ».

Jean-Yves Camus, directeur de l’observatoire des radicalités politiques, explique pour sa part que « depuis ses origines, l’Action française a un maillage assez fin du territoire. Avant-guerre, elle avait des sections dans absolument toutes les grandes villes, des fédérations dans tous les départements. ».

Les nouveaux moyens de communication aidant, l’aura de l’Action française dépasse la sphère à proprement dire royaliste, pour intéresser de plus en plus de jeunes attitrés par la doctrine souverainiste et/ou nationaliste. « La communication qu’on emploie aujourd’hui est simplement une caisse de résonance. L’Action française regroupe 2000 jeunes de moins de 20 ans, alors les moyens de communication modernes nous permettent de former, informer, relayer nos actions», explique François Bel-Ker.

** L’ « Islamo-gauchisme » origine de tous les maux ?

En fait d’actions sur le terrain, une dizaine de militants d’Action française se sont introduits de force au conseil régional d’Occitanie, le 25 mars dernier, brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Islamo-gauchistes, traîtres à la France ».

Cette dernière « opération coup de poing » leur a valu la condamnation unanime de la classe politique, jusqu’à Emmanuel Macron qui a fustigé ce qu’il a appelé : « le vrai visage de l’extrême droite ».

Si le porte étendard de la droite nationaliste française, le Rassemblement National de Marine Le Pen, semble aujourd’hui vouloir se démarquer des provocations d’Action française, la présidente du RN n’avait pas hésité à qualifier les membres d’Action française d’« idiots », ajoutant sur France 3, au lendemain de l’incident du 25 mars « Je ne savais même pas qu’ils existaient encore », il n’en demeure pas moins que Marine Le Pen fut un temps proche d’Action française.

Les membres d’AF lui rappellent ainsi qu’elle avait accordé une interview à leur journal « le Bien commun » il y a une dizaine d’années et qu’elle avait assisté, en 2007, aux funérailles de Pierre Pujo, dirigeant du mouvement pendant quarante ans et défenseur de l’Algérie française. « Elle savait où elle mettait les pieds », estime François Bel-Ker.

Marine Le Pen savait également « où elle mettait les pieds », lorsqu’en avril dernier, elle apportait son soutien à une tribune intitulée « pour un retour de l’honneur de nos gouvernants » adressée à Emmanuel Macron, signée par plusieurs dizaines de militaires et publiée dans la revue Valeurs Actuelles.

**les militaires de plus en plus séduits par la rhétorique de l’extrême droite ?

Comme le rappelait un article du journal Le Monde daté du 30 avril dernier, Quatre militaires sur dix votent pour l’extrême droite.

Une étude de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès a analysé, en 2019, les comportements électoraux des militaires et gendarmes mobiles en étudiant les votes dans plusieurs communes où leur présence est importante en nombre par rapport à l’ensemble du corps électoral de ladite commune.

Ainsi la commune de La Cavalerie, près du camp du Larzac, dans l’Aveyron, où plus d’un millier de militaires de la 13e demi-brigade de Légion étrangère sont stationnés, 33,7 % des électeurs ont voté pour le RN au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 – et autant aux élections européennes de 2019 – soit le double du reste du département (16,2 %).

50,4 % des voix aux européennes, soit 17 points de plus que le reste du département, sont allés aux listes du RN à Mailly-le-Camp, dans l’Aube, qui accueille le 5e régiment de dragons.

Les gendarmes mobiles, qui sont aussi des militaires, ne sont pas en reste, puisque Marine Le Pen a recueilli 42,1 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2012 dans le bureau de la caserne d’Hyères, dans Le Var, soit 20,3 points de plus que dans le reste la ville, précise Le Monde.

Dans le numéro du 21 avril 2021 de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, officier de carrière et responsable du site Place Armes, ainsi qu’une vingtaine de généraux, une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires ont signé un appel pour un retour de l’honneur et du devoir au sein de la classe politique.

« Notre honneur aujourd’hui tient dans la dénonciation du délitement qui frappe notre patrie. Délitement qui, à travers un certain antiracisme, s’affiche dans un seul but : créer sur notre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés », peut-on lire dans cette tribune.

« Si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre (…), provoquant au final (…) l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles », allusion à peine voilée à un potentiel coup d’Etat, dans un texte mis en ligne, soixante ans jour pour jour après le putsch des généraux d’Alger (refusant l’indépendance de l’Algérie).

La ministre des Armées Florence Parly a dénoncé ce texte « signé par des militaires à la retraite, qui n’ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes ».

Le 10 mai, une deuxième tribune du même genre est publiée par Valeurs Actuelle. Cette nouvelle lettre ouverte, lancée cette fois par des militaires d’active ne porte pas de signatures.

Les auteurs qui ne dévoilent pas leurs noms, expliquent que « si nous ne pouvons pas, réglementairement, nous exprimer à visage découvert, il nous est tout aussi impossible de nous taire ».

« Il ne s’agit pas de prolonger vos mandats ou d’en conquérir d’autres. Il s’agit de la survie de notre pays, de votre pays », poursuivent-ils dans cette tribune adressée au Président de la République, aux ministres, aux parlementaires et aux officiers généraux.

Les auteurs dénoncent les « concessions faites par l’Etat sur la question de l’islamisme». Se considérant comme des « Sentinelles » en action, ils écrivent qu’ « ayant combattu en Afghanistan, Mali, Centrafrique ou ailleurs, un certain nombre d’entre nous ont connu le feu ennemi. Certains y ont laissé des camarades. Ils ont offert leur peau pour détruire l’islamisme auquel vous faites des concessions sur notre sol ».

« Vous abandonnez, sans réagir, des quartiers entiers de notre pays à la loi du plus fort », reprochent-ils à la classe politique française, avant de brandir la menace d’une guerre civile. « De nouveau, la guerre civile couve en France et vous le savez parfaitement », peut-on lire dans cette tribune dont les auteurs s’autoproclament, selon la rhétorique d’extrême droite, comme des sauveurs : « L’armée maintiendra l’ordre sur son propre sol, parce qu’on le lui demandera », affirment-ils.

Cette rhétorique que nombre d’observateurs estiment emprunte d’idées d’extrême-droite, et qui appelle à en découdre avec les habitants de certains quartiers défavorisés de France, considérés comme « territoires ennemis », montre à quel point l’influence de l’ultra droite, dont fait partie le mouvement Action française, a gagné au fil de ces dernières années les rangs des militaires français.

Pour la ministre des Armées, Florence Parly, cette tribune « relève d’une grossière machination politique (…) elle utilise toute la rhétorique, le vocabulaire, le ton, les références qui sont celles de l’extrême droite », a-t-elle déclaré sur BFM TV, affirmant que ces propos ont pour but « de diviser, fracturer, dans un moment où la France a besoin de se réunir, de se retrouver ».

Le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, a pour sa part souhaité des mesures sévères à l’encontre des signataires de la tribune publiée par Valeurs Actuelles.

D’aucuns n’hésitent pas à souligner que le général Pierre de Villiers, ancien chef d’état-major limogé par Emmanuel Macron, bien que se tenant à l’écart de cette initiative de ses « frères d’armes », n’en nourrit pas moins d’ambitions politiques. Les sondages indiquent que l’ancien chef d’état-major des armées françaises serait crédité d’un peu plus de 20% des intentions de vote à la présidentielle de 2022.

Philippe de Villiers, frère du général et président (jusqu’à sa dissolution en 2018) du Mouvement pour la France, parti politique français de droite et d’inspiration souverainiste, faisait la semaine précédant la publication de la tribune, la Une du même Valeurs Actuelles avec le titre : « J’appelle à l’insurrection ». Celui qui fut un proche d’Emmanuel Macron en début de mandat, avant de prendre ses distances avec le président français, en est dernièrement arrivé à traiter Macron de « pitre de la République ».

Au-delà du climat assez tendu qu’a créé ce pavé dans la mare jeté par les militaires français, recueillant tour à tour les félicitations et la solidarité de l’ultra droite et les critiques virulentes du reste de la sphère politique française, force est de constater que des voix de la société civile se sont élevées pour dénoncer cette entorse à l’obligation de réserve de la Grande Muette.

Richard Michel, Grand reporter pour divers journaux et magazines, spécialiste du Proche et Moyen-Orient et ancien Président Directeur général de LCP, écrivit le 19 mai 2021 une tribune publiée par le journal Marianne et intitulée « Messieurs les généraux, soldats pétitionnaires, ne vous laissez pas envoûter par la haine ».

Réagissant aux appels à déployer l’armée dans les banlieues de certaines villes françaises, considérées comme « zones de non-droit » par la rhétorique d’extrême-droite, Michel écrit dans ce texte : « Généraux pétitionnaires, ressaisissez-vous, usez de votre attachement à certaines de vos valeurs, reconsidérez vos emportements et reconnaissez que l’ordre public en France relève des seules forces de police. C’est à elle de lutter contre les malfrats, et cela en bonne correspondance avec les magistrats du parquet et du siège. C’est ce que chacun nomme depuis belle lurette l’état de droit ».

Et le journaliste de conclure : « Nous ne serons jamais en guerre contre les banlieues car ces territoires ne sont pas des ‘territoires ennemis’. Ce sont des territoires au cœur de la République dont nous devons prendre soin en les développant et en les aidant à se libérer des réseaux criminels qui se sont greffés sur la misère et la précarité ».

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