Les sondages d’opinion, réalité ou poudre aux yeux?…. par Boutheïna Laâtar

Quelques mois nous séparent des prochaines échéances électorales et la course avait déjà commencé. Une course qui sera certes régie par un nombre de facteurs dont les sondages d’opinion fournies par des bureaux d’études à l’instar de Sigma Conseil, Emrhod Consulting ou C3 Etudes. Ces derniers représentent un facteur primordial pouvant influencer l’opinion publique en questionnant un échantillon représentatif de la population autour des intentions de vote aux législatives ainsi qu’à la présidentielle.

Le 3 mai, Ennahdha a mis en garde contre la mission des bureaux d’études et les éventuels risques d’orientation et de manipulation des intentions de vote. Le mouvement islamiste a, dans ce sens, appelé ces bureaux, en l’occurrence Sigma Conseil, à rester à l’écart des tiraillements politiques et de faire preuve de professionnalisme, de neutralité et de transparence envers les partis politiques.

Des principes confirmés par Hassan Zargouni, directeur de Sigma Conseil qui a relevé le rôle fondamental que jouent les bureaux d’études dans l’appui à la démocratie en se reposant sur des méthodes scientifiques et fiables. Il a réfuté ainsi toutes les accusations d’instrumentalisation des résultats au profit de certaines parties politiques, promettant qu’il n’ y aura aucun « bourrage des urnes ».

Cependant, les sondages qui pourraient être commandités par des partis politiques, les questions formulées d’une manière pouvant biaiser les réponses ou encore des sondages orientés dans l’objectif de dissimuler les vérités afin de servir certains intérêts consistent des risques qui peuvent décrédibiliser les instituts de sondages dont quelques uns cherchent le gain facile en s’alignant avec les directives et les choix des dirigeants politiques.

Bien que Sigma Conseil ait positionné Ennahdha à la tête des intentions de vote aux législatives avec 18% des voix des sondés, il a rejoint, par cet appel, les partis qui ont déjà montré leurs réserves quant à l’activité de ces bureaux de sondage et dont certains ont soumis des initiatives parlementaires pour mettre en place, dans l’absence d’un dispositif institutionnel, un cadre juridique régissant les sondages d’opinion. Un cadre qui devient de plus en plus vital pour combler le vide juridique et institutionnel d’autant plus que le marché des sondages est visiblement lucratif et ainsi pouvant subir des manipulations, accordant aux sondages politiques un caractère, pour le moins, controversé.

C’est dans ce sens que l’élu du Mouvement du peuple, Zouhaier Maghzaoui a indiqué que ces sondages ne révèlent pas réellement la perception de l’opinion publique, ajoutant que les résultats de ces baromètres politiques servent en réalité les intérêts de certains partis. Il a, de surcroît, appelé à mettre en place un cadre juridique régissant les activités des sociétés de sondage.

Le dirigeant de Tahya Tounes et député du bloc de la Coalition nationale, Marouen Felfel ainsi que l’élu du Courant démocratique Ghazi Chaouachi ont, aussi, appelé à instaurer, en urgence, des lois et des normes techniques organisant ces bureaux de sondage soulignant qu’ils façonnent l’opinion publique au lieu de la refléter.

Les initiatives qui ont été soumises au Parlement visent à fixer les modalités et les règles organisant les bureaux d’études. Le secteur est livré à lui-même dans l’absence de réglementations concernant la transparence de ces bureaux au niveau de l’échantillonnage, le financement des études ainsi que la date de publication des résultats.

Le secteur souffre, également, d’une autre lacune qui est l’absence d’un comité indépendant de sondages constitué d’experts comprenant des statisticiens, des juristes et des spécialistes des médias pour surveiller l’activité de ces bureaux et entraver tout abus.
De plus, la loi électorale de 2014 n’est guère respectée. En effet, elle avait stipulé la promulgation d’une loi réglementant les sondages d’opinion. Jusqu’aujourd’hui, ceci n’a vu le jour.

Les sondages politiques autour des intentions de vote semblent également manquer d’innocence en positionnant certains candidats, souvent attaqués, à la tête du classements des intentions de vote.
Il s’agit parfois de sympathie engendrant plus de popularité et de soutien pour certains politiciens en question, reflétée dans les résultats, ou bien d’une méthode bien étudiée pour appuyer les candidats jugés « victimes ». Dans tous les cas, il est indéniable que ces candidats, souvent improbables à la présidentielle, finissent par percer remarquablement.
En effet, concernant l’élection présidentielle, Sigma Conseil a classé le professeur en droit constitutionnel, Kaïs Saïed premier aux intentions de vote avec 22,4% des voix sondées. Nabil Karoui est en 2ème position obtenant 21,8%. En 3ème position, c’est la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi qui remporte 12,4% des voix.

D’après Emrhod Consulting, le chef du gouvernement, Youssef Chahed est le candidat favori des Tunisiens sondés obtenant 9,8% des intentions de vote. Un choix prévisible notamment avec l’appui dont le chef du gouvernement bénéficie à travers le mouvement Tahya Tounes. La surprise est, toutefois, Nabil Karoui, patron de la chaîne Nessma TV, placé en 2ème position avec 8,1% des intentions de vote, suivi par Kaïs Saïed remportant 7,5% des voix sondées.

La percée de Kaïs Saïed peut, selon les bureaux d’études, se justifier par l’ennui des Tunisiens des figures politiques habituelles, omniprésentes sur la scène nationale et dont la performance est, souvent, décevante. Si les Tunisiens aspirent à un nouveau personnage indépendant et frais pour leur redonner espoir en la classe politique, la remontée de Abir Moussi et de Nabil Karoui peut se justifier par une accumulation d’un capital sympathie de la part des Tunisiens qui ont dénoncé le « préjudice » subi par ces deux politiciens.

Nabil Karoui a subi la saisie des équipements de sa chaîne télévisée, Nessma TV conduisant ainsi à l’interruption de son signal et à la diffusion des ses émissions. Cette mesure, jugée injuste par certains, semble être derrière cette percée notable. Les sympathisants ont, selon les sondages, décidé de voter en faveur de Karoui à la présidentielle en signe de soutien au patron « victime » des abus de la Haica. D’autant plus qu’il est en train d’aider les familles nécessiteuses et démunies à travers son association caritative Khalil Tounes.

Abir Moussi a, quant à elle, progressé dans les intentions de vote suite à l’agression qu’elle a subie, elle et ses partisans, lors d’un meeting tenu à Sidi Bouzid.

Quoiqu’il en soit, les sondages d’opinion politiques ne peuvent être qu’un indicateur de démocratie dans les pays où les opinions du peuple importent et où il est libre de choisir son destin. Le sondage d’opinion représente, ainsi, l’indicateur d’une société moderne et respectueuse des libertés et les choix des citoyens. Un acquis qui doit être préservé et appuyé loin des calculs et tractations politiques et de toute sorte d’instrumentalisation et de déformation de la réalité.

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