Les blouses blanches en colère ! .. Par BOUKADI Nesrine

Il est sans doute évident qu’entre l’idéal enseignant et la réalité de la classe, il n’y a pas un fossé, mais un gouffre qui se creuse en une énorme brèche. Le débat fait rage et fait la une de tous les journaux. Le récit introspectif se veut aussi le bilan d’une ère de grande souffrance et d’un état assez inquiétant que malséant de l’école. Entre réhabilitation du statut de l’enseignant de l’école publique et les élèves, « pris au piège » pour certains, la situation dérive vers l’impasse. Elle ne cesse de se dégrader. Cela ne peut et ne doit plus durer.

Pour comprendre cette crise, il faut remonter à ses origines, aux étincelles qui l’ont enclenchée. L’école publique souffre depuis des années : classes surchargées, dépassant parfois les 35 élèves par classe, programme édifiant mais ô combien inconvenable et inconcevable, vu que la plupart des modules seront repris ultérieurement, trop de copies à corriger en un temps réduit, conditions de travail rudimentaires, état délabré des écoles, niveau des élèves qui se dégrade de plus en plus, attentes inassouvies des parents qui cherchent l’excellence de leurs enfants, indiscipline et rébellion de certains apprenants, etc. Face à cette situation de « crise » inconfortable de l’école tunisienne s’ajoute un élément catalyseur, non moins important mais plutôt le tout important, la dégradation du niveau de vie des enseignants. Le pouvoir d’achat s’est dégradé. Il continue en chute libre. Diplômés d’une maîtrise, l’équivalent d’un BAC plus quatre, les enseignants, qui se peinent à travailler à l’école et à la maison, n’arrivent même pas à subvenir à leurs besoins, parfois élémentaires. Jusque-là, ils dépensent de l’argent pour travailler, et donc, ils ne travaillent pas uniquement pour l’argent. Ils sont privés de tout le luxe dont bénéficient certains employés : les primes de transport, les tickets de restaurant, les cartes téléphoniques, les primes pour l’Aîd, etc. et dépensent, en contrepartie, de l’argent pour leur fourniture scolaire, pour leurs déplacements, et là une pensée particulière à ceux qui travaillent loin du foyer familial, de force et aussi de gré. Il faut qu’ils soient présentables, avec des tenues respectables, à l’image tant attendue, gratifiée par la société.
Les enseignants sont aujourd’hui en colère. Ils crient haut et fort, mais ils affrontent un mutisme profond et un assourdissement inquiétant. Pire encore, ils sont devenus la cible, huée, sinon, « haïe », par une partie de la société. Nous ne saurions généraliser.

Certains ne comprennent pas cette désinvolte et remettent en question les valeurs des enseignants, négligeant que tout travail mérite salaire, et il n’y a pas honte à réclamer ses droits. Nous travaillons tous pour avoir une vie confortable. Nous poussons nos enfants à travailler pour avoir un diplôme et pouvoir s’offrir une vie que nous espérons rayonnante. Toutefois, en Tunisie, ce qui semble aujourd’hui la faille et le problème est que nous vivons dans un pays qui ne respecte pas ses enseignants. Il faut respecter l’échelle salariale pour donner l’exemple et pousser à l’instruction.

Les parents s’acharnent sur les enseignants les accusant de non professionnalisme et de matérialisme. Pire encore, le non-respect du corps enseignant a atteint son paroxysme. La violence verbale et parfois physique se lit et se voit. L’enseignant hier chéri et respecté est devenu insulté et humilié. Ils ont oublié que l’hémorragie des grèves a touché tous les secteurs. Ils ont dû y participer un jour, mais quand il s’agit de l’enseignant, l’autre partenaire dans l’éducation de ses enfants, tout semble s’évanouir. Ce droit légitime perd sa légitimité. Il devient interdit !

Toutefois, il semble que les parents se trompent de destinataire ou encore de cible.

Depuis des années, les enseignants ont porté leurs revendications au Ministère. Ils étaient certes reçus mais très mal entendus. Ils ont dû, non à l’unanimité, passer à la vitesse supérieure et entamer une grève. Une grève en crescendo : d’abord un jour, puis deux jours, etc. jusqu’au boycott des examens des semaines ouverte et bloquée. Il faut donc que l’Etat prenne part et assume ses responsabilités dans ce dysfonctionnement social et institutionnel.

Il est sans doute clair que la décision est fort provocatrice. Elle a paralysé le processus d’apprentissage, entravé le déroulement des examens et, aussi et surtout, vandalisé l’aura qui couvrait l’enseignant et l’a fait, partiellement et non entièrement, descendre de son piédestal. Car jusque-là, l’enseignant avait le mérite et le privilège d’occuper une place de choix dans la société. D’ailleurs, avec toutes les conditions précitées, s’il lui reste aujourd’hui une chose, c’est bien le respect et le prestige que lui procure son statut social. Le reste est très bien démoli voire ruiné par le niveau de vie imposé par l’Etat.

Il faut appeler les choses par leur nom, le syndicat de l’enseignement de base et du secondaire y est pour quelque chose. Il a poussé les choses aux limites, mais la décision n’est que la goutte qui a fait déborder le vase.
Aujourd’hui, ce qui urge le plus c’est l’éducation et son avenir dans le pays. Il faut donc apporter la paix à notre pays qui sombre dans une atmosphère morose, dans une crise de confiance, dans une conviction d’impuissance, etc. Il faut réhabiliter le statut de l’enseignant pour sauver les générations qui se succèdent. Il faut les écouter et essayer de les comprendre. Nous ne voulons surtout pas que l’avenir de nos enfants soit broyé et trituré. Et l’avenir de nos enfants est bien dans l’instruction dont l’enseignant se propose comme son pilier de base.

Des abeilles sans reine est une ruche perdue. La reine du processus d’apprentissage reste sans contexte l’enseignant. Sauvons donc nos ruches, sauvons donc nos abeilles. Le miel que nous récoltons n’est que le produit d’un enseignant. La qualité dépend par conséquent des conditions dans lesquelles le miel est produit. Une métaphore à mon sens fort significative même si fort subjective, à prendre ou à laisser !

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