Le Parlement dissous en Tunisie : 5 minutes pour comprendre la dérive autoritaire du président Saïed

Dans une nouvelle étape du durcissement de son régime, le président tunisien Kaïs Saïed a dissous mercredi le Parlement. Une mesure qui s’inscrit dans un contexte de répression envers l’opposition, et de forte instabilité économique.

Kaïs Saïed lors de sa prise de fonction le 23 octobre 2019. REUTERS/Zoubeir Souissi

 

Kaïs Saïed s’offre les pleins pouvoirs. Le président tunisien a annoncé dissoudre le Parlement, huit mois après avoir déjà gelé ses travaux. Après des mois de blocage politique, le chef d’État, élu en 2019, marque un pas de plus vers une dérive autoritaire dans le pays berceau du Printemps arabe. Explications.

Que s’est-il passé ?

Le président Kaïs Saïed a pris de court les parlementaires, en annonçant mercredi soir la dissolution pure et simple du Parlement, dont les travaux étaient déjà suspendus depuis huit mois. Sa décision intervient quelques heures après une tentative des élus de contourner cette suspension.

Plus d’une centaine de députés se sont réunis, lors d’une session virtuelle, en votant l’annulation de mesures exceptionnelles décidées ces derniers mois par le président. « Une tentative de coup d’État qui a échoué », a affirmé le président tunisien, justifiant ainsi la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Alors que les députés commençaient à se connecter mercredi pour leur séance virtuelle, les applications de visioconférence Zoom et Teams ont cessé de fonctionner dans tout le pays, décrit le média Middle East Eye. Les élus ont alors poursuivi leur séance, en se tournant vers l’application de visioconférence GotoMeeting. Au total, 122 députés sur 217 ont assisté à cette séance exceptionnelle. Une participation significative, qui a poussé le président à ouvrir une enquête judiciaire pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Le président du Parlement tunisien et chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, a déjà été convoqué par la justice.

Quel contexte ?

La dissolution de l’Assemblée prolonge une crise politique dans laquelle le pays s’engouffre depuis huit mois. Déjà, en juillet dernier, Kaïs Saïed avait entamé sa dérive autoritaire, en gelant les travaux du Parlement et en limogeant son Premier ministre. Une nouvelle étape avait été franchie en septembre, lorsque le chef de l’État avait officialisé ses pleins pouvoirs par des « mesures exceptionnelles » prolongeant la suspension du Parlement. Celles-ci lui permettent de légiférer par décret, de présider le Conseil des ministres et d’amender les lois.

Ainsi, la dissolution de l’Assemblée est la « troisième action du président s’inscrivant dans une pratique autoritaire, observe Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe à Genève. En s’arrogeant les pouvoirs exécutifs et législatifs, le chef d’État confirme qu’il ne veut plus de contre-pouvoir ».

Une dérive autoritaire ?

Pour justifier son action, Kaïs Saïed s’appuie sur l’article 72 de la Constitution. Celui-ci dispose que « le président de la République est le chef de l’État, symbole de son unité, il garantit son indépendance et sa continuité et il veille au respect de la Constitution ». Pour le président, ancien professeur de droit constitutionnel, les députés, auraient porté atteinte à l’unité de l’État, en participant à cette session exceptionnelle.

Une justification qui peine à masquer une « contradiction majeure », relève encore Hasni Abidi. « À partir du moment où le président s’est octroyé des pouvoirs exceptionnels, la Constitution est déjà rendue caduque. On ne peut plus s’appuyer dessus », insiste le chercheur. Preuve d’un durcissement du régime, le verrouillage de l’appareil législatif s’accompagne d’un climat de surveillance accru des médias, des figures d’opposition et d’un rétrécissement des libertés publiques. Sans compter, le limogeage en février du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), laissant craindre des pressions affectant l’indépendance de la justice.

« La fin du régime parlementaire post-révolutionnaire se dessine », souligne Vincent Geisser, chercheur au CNRS, spécialiste de la Tunisie. « On rentre dans une phase de personnalisation du pouvoir. Car même Ben Ali (à la tête du pays de 1987 à 2011) n’avait pas dissous le Parlement ! Il maintenait une façade parlementaire. Kaïs Saïed, au contraire, a cassé la dernière vitrine », estime l’universitaire.

Et maintenant ?

Après son élection, Kaïs Saïed, avait promis de redresser l’économie fragile de son pays, en proie à un chômage de masse et à une inflation galopante. Trois ans plus tard, le bilan se révèle encore plus sombre. Au-delà de la décomposition de ses institutions, le pays fait face à « la plus grande récession économique depuis l’indépendance du pays en 1956 », note Hasni Abidi. Le taux de chômage frôle les 20 %, les pénuries de denrées se multiplient, tandis que les prix des matières premières bondissent.

« Le discours populiste de Saïed et ses incohérences sur le plan politique ne permettront pas de juguler la crise. Au contraire, ce climat d’incertitude va renforcer les défiances des bailleurs de fonds », décrypte le politiste. Sous pression, le président pourrait voir même ses plus fidèles soutiens lui tourner le dos : « Il va finir par unifier l’opposition disparate contre lui, perdre son électorat et son assise. La crainte de voir la Tunisie s’embraser est à nouveau présente… », juge Hasni Abidi.

 

 

Le Parisien

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