La diplomatie tunisienne ne peut continuer à vivre au ralenti .. Par Ali Hachani

Maintenant que l’échéance de la formation du nouveau gouvernement tunisien est repoussée d’au moins plusieurs semaines, suite au rejet par l’Assemblée des Représentants de l’équipe proposée ce 10 janvier, une nouvelle période d’attente s’annonce. La diplomatie est l’un des secteurs qui souffriront le plus de cette attente entrainant des conséquences incalculables pour l’image de la Tunisie à l’extérieur et ses intérêts sécuritaires et économiques.

Ces conséquences seront d’autant plus sérieuses que les turbulences dans notre environnement régional et international ne cessent de grandir et pourraient poser dans la brève période à venir pour notre pays des défis importants, défis auxquels nous devons être préparés. En attendant que la diplomatie tunisienne devienne totalement opérationnelle, il importe que les décideurs réfléchissent à la portée réelle de la situation qui prévaut et aux mesures urgentes à prendre pour y faire face. Ce qui suit se veut une modeste contribution à cette réflexion :

Depuis la tenue des dernières élections présidentielles et législatives dans notre pays, suivie d’une longue période d’ajustement, la diplomatie tunisienne, fortement liée à la stabilité des institutions intérieures du pays, s’est trouvée pratiquement paralysée.

Cette situation s’est aggravée par le départ précipité du Ministre des Affaires Etrangères et de celui du Ministre de la Défense Nationale, les deux piliers de la sécurité extérieure du pays.

La nomination auprès du nouveau Président de la République de diplomates chevronnés pour remplir diverses fonctions, qui n’ont pas toutes un lien direct avec l’activité diplomatique, a certes partiellement rassuré ceux qui s’intéressent de près ou de loin à cette activité, mais le vide ainsi créé est resté perceptible tant au niveau de la gestion du Département des Affaires Etrangères qu’au niveau du suivi des dossiers qui ont un lien direct avec notre politique étrangère.

Certes, le responsable en charge de l’intérim et les cadres et employés à l’intérieur et à l’extérieur déploient des efforts louables pour maintenir le Ministère dans la lignée des traditions diplomatiques du pays et préserver ses intérêts, mais eux-mêmes ne manqueront pas de reconnaitre qu’en l’absence d’un responsable en titre et d’une vision claire de nos relations futures dans les zones d’appartenance et dans le monde, ces efforts restent insuffisants.

La Tunisie est depuis le début de ce mois de janvier 2020 membre non permanent du Conseil de Sécurité ayant la responsabilité, notamment, de refléter les préoccupations du monde arabe et, avec d’autres pays, celles de l’Afrique.

Déjà les regards se dirigent vers nos représentants permanents dans cette instance, ayant la charge principale de la paix et de la sécurité internationale, pour prendre les devants dans la discussion au sein du Conseil de l’épineux problème libyen et celui de l’Irak à la lumière des derniers développements au Moyen Orient, sans compter les problèmes de nos frères palestiniens toujours sujets à l’agression israélienne et qui attendent avec appréhension l’annonce prochaine de « l’initiative de paix » américaine. Sommes-nous outillés pour faire face à de tels développements et peser réellement sur les décisions ? A défaut, notre passage de deux ans par cette institution serait une (autre ?) occasion perdue pour notre pays. Déjà la présidence tunisienne du Sommet arabe, acquise l’année dernière et qui doit s’achever prochainement, n’a guère enregistré des activités susceptibles de nous être accréditées d’autant que la Libye voisine risque toujours -malgré l’accord de cesser le feu conclu récemment- de plonger davantage dans le chaos alimenté par des puissances régionales et extra régionales sans que la Ligue des Etats Arabes ne fasse réellement entendre sa voix.

Il en est de même de la présidence de la francophonie qui nous fournira l’occasion de présider à la fin de l’année qui commence l’un des Sommets les plus importants : où en sont les préparatifs ? Certes, un ancien haut cadre du Ministère des Affaires Etrangères connu pour sa compétence a été nommé pour diriger ces préparatifs. Quels moyens humains et matériels lui a-t-on donné pour s’acquitter de sa mission et quel est l’engagement réel des différentes structures de l’Etat pour assurer le succès de cette manifestation qui risque de se trouver embourbée dans les querelles idéologiques apparemment sans fin dans notre pays ?

Les tractations intéressant les ensembles auxquels nous appartenons et qui exigent de nous des prises de position officielles claires se déroulent au mieux sans notre participation active, au pire sans que nous soyons informés. Au sujet de la Libye, des puissances proches et lointaines (Turquie, Russie, Allemagne, France, Italie…) négocient fébrilement pour arrêter le conflit au mieux de leurs intérêts, nous laissant le soin de nous préparer à accueillir les milliers de réfugiés, et peut être quelques terroristes, qui ont déjà commencé à affluer en direction de nos frontières.

Nos frères algériens, longtemps limités dans leurs initiatives diplomatiques par une situation politique perturbée, se rappellent au bon souvenir de ces puissances et commencent heureusement à s’assurer une voix en la matière. La Syrie continue à souffrir sous le poids du terrorisme et des interventions étrangères sans que nous puissions convaincre la Ligue des Etats Arabes d’y assumer ses responsabilités en attendant que le Conseil de Sécurité, dont nous sommes membres, assume les siennes. L’Irak, l’Iran et la région du Golfe dans son ensemble vivent une situation cauchemardesque sans que nous osions ne serait-ce que publier un communiqué exprimant un avis officiel sur ce qu’y se passe. Dans ce bouillonnement diplomatique, doublé de bruit de bottes, se déroulant sur nos frontières et au-delà, certains de nos responsables politiques semblent se plaire dans l’action isolée au nom d’une diplomatie « parlementaire» ou « populaire » à laquelle ils semblent donner une interprétation particulièrement élastique. Ils pensent remplir ainsi un vide mais, en fait, ils ne réussissent qu’à égratigner davantage l’image de marque du pays !

En attendant que la Tunisie revienne à une vie publique normale, le vide ne peut être rempli que par la mise en place d’un nombre limité de structures, qui peuvent être de courte ou de longue durée et qui, sans être particulièrement onéreuses, ne poseraient aucun problème constitutionnel ou administratif : Il s’agirait de désigner sous l’autorité de la Présidence de la République ou du Ministère des Affaires Etrangères deux « représentants spéciaux » ayant le niveau d’ambassadeurs, l’un pour le Conseil de Sécurité et l’autre pour le Monde Arabe, représentants qui ne dédoubleraient pas les structures existantes et seraient déchargés des tâches administratives redondantes. Ils auraient pour uniques rôles de coordonner, au niveau central, des cellules de réflexion stratégique sur les problèmes qui se posent et, au niveau extérieur, s’appuyant sur les résultats de cette réflexion et sur les orientations des décideurs, de mener des contacts suivis avec les parties concernées afin de faire entendre la voix de la Tunisie et veiller au respect de ses intérêts.

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