Ennahdha veut un chef de gouvernement juste comme il faut

Habib Jomli vient d’être proposé aujourd’hui pour succéder à Youssef Chahed à la Kasbah. Tous les deux sont d’anciens secrétaires d’Etat à l’Agriculture, tout comme l’a été avant eux Habib Essid. Un drôle de parcours qui peut sembler étonnant mais qui ne l’est pas tant que ça…

Les trois chefs du gouvernement qui se sont succédé depuis 2014 ont cela en commun. Ils ont tous les trois occupé le poste de secrétaire d’Etat à l’agriculture, et fait leur carrière principalement dans des fonctions liées à ce secteur. L’agriculture, un tremplin politique pour accéder à la Kasbah ?

Anecdotique certes, ce poste en dit long sur le « profil idéal » du chef du gouvernement. Non que les compétences en agriculture des trois chefs de gouvernement successifs leurs soient d’une certaine utilité dans la mission qu’ils devront assurer. Il s’agit cependant d’un ministère discret impliquant des compétences certaines dans l’économie et les régions et une certaine connaissance des rouages de l’Etat…mais pas plus qu’il n’en faut.

Le locataire de la Kasbah devra en effet être un commis de l’Etat, compétent mais discret, juste ce qu’il faut pour afficher la loyauté et l’obéissance nécessaires envers ceux qui sont responsables de sa nomination et ne pas risquer de leur faire de l’ombre. Exactement le profil que semble présenter Habib Jomli.

Habib Jomli est ancien secrétaire d’Etat à l’Agriculture dans les gouvernements de Hamadi Jebali et de Ali Laârayedh. Un homme discret dont les apparitions médiatiques et les positions politiques se font rares et timides depuis la fin de sa mission. Son prédécesseur, Youssef Chahed, l’était aussi avant d’être nommé à la Kasbah et de devenir le chef du gouvernement redoutable qu’il est devenu aujourd’hui, lui faisant perdre une grande majorité de ses soutiens.

Habib Essid affiche le même profil et a derrière lui une carrière de commis de l’Etat principalement dans des fonctions liées à l’agriculture. Proposé par Nidaa Tounes, il a été très loyal envers Béji Caïd Essebsi qui l’a, par la suite, nommé conseiller à la présidence de la République.

« Ceux qui croient qu’il est demandé à un chef de gouvernement d’être un homme de décision se leurrent. Le président du nouveau Parlement ne permettra pas que le chef du gouvernement échappe à son contrôle, peu importe si ceci conduira à un carnage politique au sein d’Ennahdha, tout comme cela a été le cas lors des candidatures pour les législatives. Ceci écarte la candidature de Mongi Marzouk, malgré ce que peut en penser le conseil de la Choura. Le rival de Mongi Marzouk présente toutes les garanties nécessaires quant à une discipline inconditionnée aux directives du cheikh. S’il passe, Rached Ghannouchi sera à la fois au Parlement et à la Kasbah » écrit Adnen Mansar sur sa page personnelle hier soir.

Mansar sait de quoi il parle et connait de près les « critères de choix » du parti islamiste puisqu’il avait été le conseiller et chef de cabinet de Moncef Marzouk à l’époque où Ennahdha l’avait nommé pour être un président de la République « à sa mesure » en 2011 à l’issue des élections de la constituante.

Le choix de Habib Jomli en tant que chef du gouvernement soulève cependant quelques interrogations. La première de ces interrogations est relative au choix porté sur une personne qui n’appartient pas à Ennahdha. Quel sera le degré de loyauté de Jomli à Rached Ghannouchi ?

« Ennahdha choisira un chef du gouvernement qui lui appartient, au premier rang, deuxième, dixième ou même faisant partie de ses amis », a déclaré Rached Ghannouchi. Habib Jomli devra donc appliquer le programme du parti islamiste et nommer son gouvernement en fonction de ce qu’Ennahdha lui dictera de faire. Un gouvernement qui devra, aussi et surtout, respecter les différents marchés conclus entre le parti Ennahdha et ses différents alliés qui lui ont accordé leurs voix pour que Ghannouchi accède à la présidence de l’ARP.

Au départ, ce n’était pas Habib Jomli qui était le plus pressenti au poste. Mongi Marzouk avait d’abord été présenté comme étant le favori du parti islamiste. L’ancien ministre des Technologies Mongi Marzouk avait, vraisemblablement, réussi à mettre les différentes « factions » de Montplaisir d’accord, d’après les bruits qui ont circulé ces derniers jours.

Hier soir, Mongi Marzouk avait réagi à l’information en se disant « flatté » par l’accueil positif réservé à sa candidature mais affirmant qu’une telle nomination était, selon lui, « peu probable ». Qu’est-ce qui a fait changer d’avis le parti islamiste, malgré les compétences du polytechnicien Mongi Marzouk saluées par une partie de la classe politique ?

Ce matin, Hichem Ajbouni, député du Courant démocratique a affirmé sur Shems Fm que « le sens de l’Etat chez Ennahdha réside dans la satisfaction de ses intérêts politiques et personnels, raison pour laquelle le parti de Rached Ghannouchi est prêt à collaborer avec un parti faible comme Qalb Tounes ». Une chose que les deux partis auraient en commun selon Ajbouni.

Ce qui pourrait justifier qu’Ennahdha renonce à une personnalité plus compétente en faveur d’un chef de gouvernement « malléable » et « loyal », de l’avis de nombreux observateurs de la scène politique.

Le nom de Habib Jomli sera soumis au chef de l’Etat Kaïs Saïed. Les défis qui se posent à lui dans sa nouvelle mission sont nombreux mais aussi très délicats. Alors que la Kasbah a la sombre réputation de « dévorer » ceux qui ont le malheur d’y faire un passage, le parti islamiste traine, lui-aussi, la même réputation. Tous ceux qui l’ont côtoyé de près se sont, très rapidement, brûlés les ailes. Habib Jomli sera-t-il le prochain ?

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