Debat – Kais Said élu président Pourqoui?

Samedi 16 novembre 2019. Espace El teatro. De 9h30 à 14h. Plus de 110 participants. Rencontre Nachaz-Dissonances sur le thème : « De quoi Kais Said est-il le nom ? ». Intervenants : Khalil Abbes, Chams Radhouani Abidi et Baccar Gherib. Modérateur : Fathi Ben Haj Yahia.
FBY a expliqué dès le départ que le choix a été fait au niveau de Nachaz de ne pas entraîner le débat vers une opposition binaire entre ceux qui sont contre et ceux qui sont pour KS qui risquerait de le fausser un peu et de le transformer en polémique politique stérile.

Debat – Kais Said élu président Pourqoui?

L’objectif était plutôt de donner la parole à un jeune (venant de la gauche dite radicale) impliqué directement dans la campagne de KS, d’un universitaire militant de gauche dont les prises de position à ce sujet tranchent sur ceux de sa famille politique (El-Massar), et d’une jeune femme, féministe qui a été de tous les combats, sociaux et sociétaux, avec des positions engagées mais toujours nuancées. Ce choix est bien sûr discutable, et j’aurais personnellement souhaité voir parmi le panel des intervenants un anti-KS. De toutes les manières, et quels que soient les intervenants, ils ne seront jamais représentatifs de toutes les variantes des pour et des contre. On voulait surtout comprendre le phénomène et ce qu’il révèle plutôt que de juger et de prendre position (tous les membres de Nachaz n’ont pas voté pareillement).

Pour répondre à la question posée dans l’intitulé de la rencontre « De quoi KS est-il le nom ? »,
– Khalil Abbes est remonté au premier moment du processus révolutionnaire qui, très vite, selon lui, s’est scindé en deux processus parallèles : le processus révolutionnaire à proprement parler, et qui voulait dès le départ en découdre radicalement avec l’ancien système et le processus réformiste de la transition démocratique qui visait tout juste à lui apporter des améliorations politiques et l’assainissement de l’Etat. Le moment de rupture entre les deux processus fut le sit in de la Kasba II qui, par sa suspension sous le slogan  » si vous revenez on sera là  » (« In 3ottom 3odna ») a consacré cette rupture et la victoire, pour un temps, du processus de la transition démocratique. Selon Khalil toujours, si le processus révolutionnaire n’a certes pas proposé d’alternative, il y a quand même fait allusion en essayant de mettre en place les conseils locaux dans les régions. Et s’il a reculé, il ne s’est pas éteint pour autant. Ce processus substitue à la démocratie représentative le concept d’équité (al-adl) et donne la priorité aux questions sociales aux dépens des questions sociétales même s’il ne les ignore pas.

– Chams Radhouani Abidi a, quant à elle, développé un discours dans lequel les élections présidentielles et législatives ne constituent qu’un événement parmi d’autres et qui à ses yeux n’ont pas d’autre intérêt que de baliser ou de mettre en boîte l’histoire, aux fins de la comprendre. Elle interroge et remet en question le primat que l’on donne ainsi aux grands récits nationaux au dépens des micro récits et des récits individuels qui n’en sont pas moins importants et décisifs, sinon plus. Elle explique de la sorte son attitude un peu nonchalante lors de ces élections. Pour elle le système, tout système, ne peut pas être, ne doit pas être considéré autrement que comme une machine ou un appareil de domination. Il n’est pas question de choisir et de prioriser entre les questions sociales et sociétales. Il faut et il est possible de mener tous les combats à la fois. Chaque petite victoire est à prendre et tout échec n’est que partie remise. Elle interpelle KS sur le contenu qu’il donne aux termes « peuple » et « jeunesse » parce qu’ils ne lui semblent pas clairs. Il est temps, après ces élections, de se mettre à réfléchir et écrire, notamment pour la gauche (qu’elle distingue des partis de gauche). Elle refuse de parler de défaite de la gauche en tant que vision, combat et luttes sociales, syndicales, culturelles et politiques. Cette gauche-là continue à investir, infléchir et structurer tous ces champs. C’est la gauche partisane qui est en reflux. Elle appelle cette gauche plurielle à se remettre en question et à inventer de nouveaux modes d’organisation et notamment à s’impliquer dans les luttes et les organisations sociales défendant les libertés individuelles qui doivent passer de revendications et de luttes catégorielles à des revendications nationales.

Enfin Baccar Gherib à enchaîné en faisant remarquer que la gauche en tant qu’idée ne mourra jamais, parce que c’est une idée jeune au regard de l’histoire et conserve un large horizon pour se déployer.
Selon lui, KS prône une démocratie radicale qui met en avant la justice sociale comprise comme équité et non égalité et ignorant les questions sociétales vis-à-vis desquelles il ne cache pas ses positions franchement conservatrices. Il observe que la dimension symbolique a beaucoup joué en faveur de KS, perçu comme monsieur propre combattant sans concession la corruption. La question que pose la révolution est celle du passage de la « société de l’Etat » à l’ »Etat de la société » que la transition démocratique peine à négocier. Baccar Gherib conclut en stigmatisant la gauche boiteuse, incapable de se battre sur tous les fronts, de procéder à son autocritique après les résultats catastrophique des élections, se cherchant des alibis du genre corruption, falsification des résultats, complot, etc. Une gauche politique élitiste dont on a dérobé même la cause sociale, sa raison d’être historique.

Des débats riches et contradictoires ont suivi avec pas moins d’une vingtaine de prise de parole. Des questions nombreuses ont porté sur le personnage de KS lui-même, dont certains de ses étudiants ne se sont pas privés de déconstruire le mythe en évoquant son rôle en 2002 dans la révision constitutionnelle ordonnée par Ben Ali pour préparer juridiquement son quatrième mandat, ou ses méthodes pédagogiques classiques, inchangées et verticales à leurs dires. D’autres interventions tout en signalant sa victoire électorale incontestable n’ont pas manqué de la rattacher au caractère délibérément vague et flou de ses slogans tels « le peuple veut… » sans indiquer quoi, laissant ainsi à qui veut le soin de remplir à sa guise les points de suspension pour s’y retrouver. Bien sûr la gauche n’a pas été épargnée, mais sans outrance.
PS : A Nachaz-Dissonances, nous n’avons pas tous la même position par rapport à KS. Certains parmi nous ont voté pour lui, les autres ont voté blanc ou se sont abstenus. Cependant, pour nous tous, le phénomène dépasse la personne du nouveau président et traduit, notamment chez les jeunes, une nouvelle demande de faire autrement la politique, d’être à l’écoute des couches populaires et de leurs revendications sociales et pour la dignité. Mais il n’est pas question de faire passer au second plan de notre engagement les questions sociétales se rapportant aux libertés individuelles, à la liberté de conscience, à l’égalité totale entre les hommes et les femmes, y compris l’égalité dans l’héritage, etc.

L’état des lieux de la gauche politique après sa défaite cuisante aux élections, c’est le thème programmé pour samedi prochain, 23 novembre 2019, même heure même lieu (El teatro à 9h30).
Venez nombreux participer à ce débat salutaire pour une gauche qui veut se reconstruire.

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