Arslan Chikhaoui, expert en géopolitique, à propos des résultats du 15ème sommet des BRICS : «La dimension politique a prévalu»

L’objectif du sommet est de passer d’un format club économique à celui d’organisation politico économique, de constituer à travers le BRICS+ un pôle stratégique à même de maintenir sa survie au regard de la recomposition de la cartographie géopolitique et géoéconomique planétaire post covid 19, marquer à travers le renforcement de la Banque de développement des BRICS son influence sur la scène internationale, soutient le spécialiste.

Par Khaled Remouche

Algérie Invest : Comment commentez vous les résultats du 15 -ème sommet des BRICS?

M. Arslan Chikhaoui : Tout d’abord la dimension de compromis politique a prévalu lors du Sommet des Brics de Johannesburg. L’objectif de ce sommet était a trois niveaux:

1. Adopter à l’unanimité des cinq membres fondateurs l’élargissement de Brics à Brics+ pour en faire un pôle stratégique et par conséquent maintenir sa survie au regard de la recomposition de la cartographie géopolitique et géoéconomique planétaire post-covid 19.

2. Passer d’un format de club économique à organisation politico-économique.

3. Préparer le socle financier par le renforcement de la Banque de Développement des Brics pour marquer son influence sur la scène internationale en pleine recomposition des alliances.

Avec l’intégration de six pays au BRICS, comment voyez- vous l’avenir des échanges commerciaux en monnaie locale dans ce groupe de pays émergents?

En termes d’analyse, il est utile de comprendre comment l’élargissement est vu par les cinq membres fondateurs des BRICS. Il est d’abord progressif donc non limitatif dans le temps et dans l’espace et comme la dimension politique a prévalu la finalité était à leurs yeux d’intégrer les membres pesant dans le G20, dans l’OPEP, dans l’OCI, de l’Union Africaine. Un groupe des pays non alignés sous un autre format plus adapté à la nouvelle Ere qui se dessine actuellement. Une forme de groupe multi-aligné pour répondre aux défis politiques et économiques de la multipolarité. Au sommet de Johannesburg, les leaders des cinq pays fondateurs des Brics à défaut d’examiner les candidatures émises par les pays souhaitant rejoindre les Brics ont plutôt préféré inviter, dans un premier temps, un lot de pays à y adhérer en 2024 et à travailler en parallèle sur les mécanismes d’adhésion dès janvier 2024. Ce sommet n’est pas sorti avec une liste de pays qui vont adhérer, mais plutôt se sont entendus par compromis sur la définition des principes fondamentaux devant être adoptés pour permettre à un pays demandeur d’adhésion de rejoindre a posteriori la nouvelle organisation. En d’autres termes, il n’y a pas lieu de parler d’adhésion au sommet des Brics à Johannesburg, mais simplement d’invitation d’adhésion qui obéit à une logique de compromis géopolitique et géoéconomique d’alliance, dans le but de préserver la survie de cette organisation. En termes d’analyse les six pays dont les critères de compétitivité économique sont très épars ont été invités à adhérer aux brics pour des considérations hautement politiques:

1. L’Éthiopie est le siège de l’UA. De ce fait la présence de l’UA est actée indirectement et marque l’arrimage des brics au continent africain

2. L’Argentine se révèle un facteur de compromis pour en finir avec les troubles que connaît ce pays, non sans impacter négativement la stabilité de tout le continent de l’Amérique Latine. Ce pays est dans le giron du Brésil.

3. L’Égypte à cause de l’influence des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite; l’Égypte étant utilisée dans leurs guerres par procuration dans le monde arabe.

4. Concernant, l’Arabie Saoudite et les EAU et l’Iran pour leur poids énergétique et financier. Sur le plan politique c’est l’équilibre pacifique entre les 3 majors de l’OCI d’obédiences différentes qui était recherché.

La Banque de développement des BRICS est-elle le prélude à une remise en cause du rôle du FMI et de la Banque Mondiale dans le financement ou le soutien des économies des pays du sud en difficulté financière ?

Les Institutions de Bretton Woods ont accompagné à l’origine le plan Marshall de reconstruction post deuxième guerre mondiale qui se sont ensuite imposées avec l’Ere bipolaire et l’Ere unipolaire comme un instrument d’influence, de pressions et de promotion de valeurs universelles que le Sud Global a du subir depuis au moins deux générations. De plus les dernières sanctions économiques contre la Russie ont alerté les pays du Sud Global sur leur vulnérabilité et par conséquent les cinq membres fondateurs des Brics considèrent la mise en place de l’outil financier comme moteur d’influence. Donc la Banque des Brics, sera une nouvelle alternative au Sud Global de pouvoir s’autofinancer sans avoir à subir les conditionnalités politiques et d’ingérence dans la gouvernance interne des Etats par les institutions financières internationales en place. Rappelons-nous que les USA, pour conserver leurs avantages stratégiques hégémoniques (politique, militaire, financier, économique et technologique), ont depuis la crise financière de 2008 suivie de celle des surprimes de 2009, adopté une stratégie agressive dans le recours à l’arme des sanctions économiques et financières avec comme levier l’extraterritorialité des lois américaines. Face à ces agissements de la supra-puissance américaine, l’impact sur l’utilisation du Dollar américain dans les échanges internationaux se fait de plus en plus sentir devant cette rupture de confiance des équilibres prônés par le libre-échange. Selon un rapport du FMI, en 2021, la part du dollar américain dans les réserves des banques centrales a chuté de 70% à 59%, son plus bas niveau depuis 25 ans, au profit d’autres devises telles que l’euro, le rouble, le yuan. Le Dollar américain, outil de Soft Power pendant la guerre froide, est devenu le symbole du Sharp Power américain depuis le début des années 2000. Face à l’utilisation du dollar américain comme arme de dissuasion, certaines grandes économies s’organisent pour réduire leur exposition et sortir de cette dépendance. C’est ainsi que les Brics sont en train de préparer leur riposte. L’utilisation de véhicules financiers contrôlés par l’Occident Global n’est pas favorable au groupe des Brics et augmenterait d’autant plus son exposition face aux sanctions et rétorsions économiques. Les Brics à l’issue du sommet de Johannesburg s’organisent donc pour mettre sur pied un système de paiement transnational qui permettrait de s’affranchir du système occidental Swift et de mettre en place un système alternatif dénommé «Brics Pay» qui permettrait à tous les pays des Brics et à leurs partenaires de procéder à des échanges économiques et financiers à partir de leurs propres monnaies nationales via des portefeuilles électroniques dans un cloud dédié. La logique des Brics est d’avoir des échanges commerciaux entre les membres en monnaies nationales. C’est déjà le cas entre l’Inde et les EAU par exemple. Favoriser les échanges entre les membres du Sud Global en monnaies nationales ne veut pas dire dé-dollarisation mais plutôt plus de flexibilité et d’indépendance dans les termes d’échanges et de coopération économique et commerciale entre les Etats membres des Brics+.

Croyez- vous à la fin de l’hégémonie du dollar dans le système financier international à moyen ou long terme ?

La cristallisation des tensions autour du dollar américain encore largement répandu dans la plupart des échanges internationaux, a tendu les relations économiques, commerciales et financières entre les différents pôles économiques mondiaux. Le risque n’est pas négligeable, surtout à travers l’essor des crypto monnaies décentralisées, comme le Bitcoin, l’Ether ou le Tezos, vues par certains comme le futur de l’économie et par d’autres comme de simples actifs spéculatifs. De nombreux acteurs se sont lancés dans la course à la création, au lancement et à la généralisation progressive de leur nouvelle crypto monnaie dans le but de concentrer plus rapidement et plus efficacement l’ensemble de la chaîne économique en leur sein. La menace sur le Dollar américain est pesante, sachant que la Chine, principal acteur économique mondial est particulièrement en pointe dans ce domaine. La Russie n’est pas en marge. Ce qui conforte une volonté assumée d’une complémentarité et non d’une alternative absolue au Dollar américain. Constatant que Pekin a trois longueurs d’avance, Moscou avait lancé en octobre 2020 une stratégie de développement rapide d’un rouble numérique. Cette stratégie de développement de ces devises digitales permettrait ainsi de renforcer la confiance dans l’utilisation des devises au sein même des économies nationales, mais également dans le cadre d’échanges économiques régionaux et internationaux. Il est clair, de mon point de vue, que ces stratégies de compétitivité vont accentuer les rivalités, voire les tensions entre les différents pôles géoéconomiques.

L’évolution du groupe des BRICS remettra-t-il en cause l’ordre économique mondial?

L’évolution du club des Brics en groupe des Brics+ permettra plutôt un rééquilibrage de l’ordre mondial. Je pense que nous assisterons à terme à un jeu à somme nul entre supra-puissances économiques rivales mais surtout à une dé globalisation progressive. Le nouvel ordre mondial n’est pas un concept nouveau et les crises et conflits ont toujours été récurrents. En relations internationales, il n’y a paix que s’il y a crise. Par conséquent, je dirais que le monde multipolaire, qui se dessine en perspective avec l’avènement des Brics+, apportera son lot de crises à dimensions et intensités variables.

K.R.

(Dr. Arslan Chikhaoui, Expert en Géopolitique, membre du Conseil consultatif d’experts du World Economic Forum et membre du groupe de travail ‘Track 2′ du système des Nations Unis (UNSCR-1540).

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