23 octobre 2019: Fière de mon pays! .. Par Azza Filali

Mercredi, le président de la République, élu par les urnes, a officiellement, pris ses fonctions: prestation de serment devant l’Assemblée des représentants du peuple, puis arrivée au palais de Carthage où il a été reçu par le président sortant. Après le traditionnel entretien entre les deux hommes, Kais Saied a raccompagné Mohamed Naceur, jusqu’au perron où l’attendait sa voiture, puis il a défilé devant les trois armées, réunies pour lui rendre hommage et s’est incliné pour baiser le drapeau national.

Tout s’est déroulé sans accrocs, et en parfaite concordance avec les règles de la constitution. Cette journée qui a enregistré un parcours sans faute, vient ajouter sa pierre à l’édifice qui se construit lentement sous nos yeux, celui d’un pays où le respect de l’État et de la constitution devient, peu à peu, un acquis indéracinable. Souvenons-nous : le 25 Juillet dernier, la Tunisie apprenait, dans la douleur, le décès de son président, le défunt Béji Caied Essebsi. L’information a été diffusée à 10h30 du matin. Deux heures plus tard, le président de l’Assemblée prêtait serment, devenant ainsi, président de la République par intérim, pour une durée de quatre-vingt- dix jours. En quatre-vingt-dix jours, l’Isie est parvenue à organiser trois sessions électorales: une élection législative, et deux tours d’élections présidentielles. Indépendamment de la “valeur intrinsèque” et du contenu de ces élections (certes fondamental), il y a eu respect des délais impartis, et stricte conformité avec ce que stipule la constitution.

Qu’on ferme un instant les yeux et qu’on revienne dix ans en arrière, soit le 23 octobre 2009: la Tunisie, citoyens muets, geôles pleines, venait de mettre au pas le soulèvement du bassin minier. Partout à l’étranger, on chantait les louanges de ce petit pays, aux avancées économiques remarquables, et aux plages si belles l’été… Seules, quelques voix dissonantes dénonçaient les sévices subis par les opposants au régime, l’interdiction des rassemblements, et la totale absence de liberté de la presse. Dix ans après, le changement est immense. Voici qu’un président élu, “pour de vrai”, au suffrage universel, entame son discours d’investiture par un hommage aux libertés, et annonce sa détermination à les défendre. Une comparaison, telle celle à laquelle nous venons de nous livrer, illustre le chemin parcouru par les tunisiens en une décade. Certes, il y a mille choses à redire au sujet de notre pays. Il est vrai qu’il offre aujourd’hui une image à l’exact opposé de celle de 2009: un pays où la liberté de la presse est un acquis sans retour, où l’on parle et manifeste à chaque coin de rue, mais où la situation économique est à son plus bas niveau, depuis des décennies. Seule constante: les plages sont toujours aussi belles (à condition qu’elles soient propres, bien entendu…) Mille choses à redire, sans doute. Mais, il faut aussi dire, et écrire les belles choses qui ont transformé notre pays. Ecrire est aussi une façon d’aimer…

D’étape en étape, notre Tunisie s’approprie le respect de la constitution, condition sine qua non de l’exercice démocratique. A chaque étape, c’est une victoire de plus, un pas supplémentaire. Car s’approprier n’est pas forcément posséder de plein pieds. Il n’est que de voir ce que nos partis, et certains de nos gouvernants, ont fait du respect de la constitution, durant les huit dernières années. Des lois votées, jamais appliquées, d’autres croupissant dans les placards de l’Assemblée, d’autre volontairement empêchées d’aboutir, d’autres enfin, cousues mains, cinq minutes avant la sonnerie, pour se débarrasser d’un concurrent envahissant, aux prochaines élections. Tout cela, évidemment, contre les articles de la constitution.

Il est vrai que la Tunisie a changé, mais les tunisiens (et curieusement leur classe politique) sont encore loin du compte, en terme de légalisme et de droiture morale. Il est remarquable que ce soit le citoyen lambda qui ait, à travers l’élection de Kais Saied, rappelé à sa classe dirigeante, la nécessité de réviser sa copie, en termes de moralisation de la vie publique et de respect des institutions de l’État. Les citoyens muriraient-ils plus vite que leurs dirigeants? Il est vrai que l’exercice du pouvoir aveugle les individus, les menant à croire que le poste qu’ils occupent est, à lui seul, un gage de maturité et de compétence. Or, rien n’est moins propice à la maturation d’un être qu’une responsabilité politique acquise dans la fougue de la jeunesse. En vérité, cette responsabilité ne devrait venir ni trop tôt, (quand la maturité n’est pas encore là), ni trop tard, (lorsque les atavismes et la faiblesse physique), prennent le dessus.

Ce 23 octobre, les citoyens tunisiens ont assisté à une représentation qui a eu l’heureuse idée d’être belle et bien jouée. Il est vrai qu’on n’a pour l’instant que le beau côté des choses. Mais, ce qu’on pourrait appeler les “célébrations de la vie”, reste essentiel dans la vie des sociétés. Une journée, telle que le 23 octobre 2019, en insufflant de la joie, voire une dimension magique à un événement, joue un rôle majeur, par le travail symbolique qu’elle accomplit. Voir un président de la République, au premier jour de sa fonction, s’incliner devant le drapeau national et le baiser avec ardeur, est aussi important pour le tunisien que l’évolution de la dette publique. Cette dimension symbolique active en chacun de nous des réserves d’espoir, de rêve, d’ardeur, autant d’ingrédients qui aident à mieux vivre et renforcent l’attachement au pays. Gageons que l’annonce d’une baisse miraculeuse de l’inflation, faite ce matin, n’aurait pas déclenché les youyous et les vœux de bonheur et de réussite qui ont accompagné Kais Saied, lorsqu’il est sorti de son domicile, avec sa démarche habituelle, ses salutations coutumières aux voisins, pour monter en voiture et aller devenir président de la République…

Certes, bien des aléas risquent de surgir dans les prochains jours. Mais la journée du 23 octobre a eu le mérite d’exister. Elle sera engrangée par les citoyens dans les archives de leur mémoire citoyenne. Nous pouvons désormais être sûrs que d’autres journées, pareilles à celle-ci, égrèneront la vie de notre pays et nous feront grandir. A chaque fois, le fait de voir les êtres se comporter tels qu’ils doivent le faire, avec dignité et sincérité, honorant par là leur État et leurs institutions, ne peut que nous rendre fiers. Oui, aujourd’hui, je suis fière de mon pays ! Vous aussi, j’espère….

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